La CEMAC, méthodiquement

La Conférence des chefs d’Etat de la CEMAC qui s’est terminée vendredi à Yaoundé, pour ordinaire qu’elle fût, a eu deux mérites extraordinaires. 
Le premier, celui de déconstruire un tant soit peu le mythe d’une CEMAC léthargique, veule, adossée sur ses richesses pétrolières, minières et forestières. On a ressenti tout autre chose, à travers le volontarisme affiché par les cinq chefs d’Etat venus à Yaoundé à l’appel de Paul Biya, le président en exercice, pour se parler, se concerter sur les réalités de l’intégration sous-régionale, et évaluer le dispositif arrêté pour parer aux chocs et aux incertitudes de l’environnement international. Entre les cours volatiles du pétrole, les menaces de famine, l’inflation qui grignote méthodiquement le pouvoir d’achat, les attentes des patronats et des peuples, les chefs d’Etat ont dû interroger la qualité de la riposte commune, et sonder la volonté de continuer d’avancer ensemble sur cette voie cahoteuse, comme des frères. 
Certains observateurs attendaient une révolution, au terme de ce Sommet. Ils seront déçus, mais à tort. Car la CEMAC a coutume de maturer ses décisions à la manière du ruminant qui apprivoise l’herbe mastiquée jusqu’à ce qu’elle devienne une partie de lui-même. Toujours comparée à l’UEMOA et à la CEDEAO, elle a essuyé toutes les critiques quant à sa volonté réelle de s’intégrer, jusqu’à ce que la communauté d’Afrique de l’Ouest présentée comme modèle, chancèle sous une avalanche de coups d’Etat militaires, remette en question la révolution monétaire annoncée, et se fracture sur les orientations stratégiques. N’est-ce pas, peu ou prou, à l’image de la fable africaine du lièvre et de la tortue ? Pourvu, néanmoins que la tortue ne s’endorme pas en chemin, et arrive, en définitive, à bon port !
Le second mérite, c’est celui de re-diriger l’attention des Camerounais sur autre chose que le drame de l’assassinat de Martinez Zogo. Oui, cette affaire est une tragédie, une honte collective. Certes. Mais ceux qui tardent à prendre acte que l’Etat et la Justice ont pris leurs responsabilités, et qui se complaisent à saturer les médias et les réseaux sociaux de commentaires, de sentences sans nuances de leurs opinions, alors même que l’horloge judiciaire court, ont certainement leurs raisons. Ils veulent faire croire que le Cameroun serait devenu l’enfer de Dante, où la satisfaction des pulsions assassines fleurit dans l’impunité, après avoir déboulonné la démocratie et l’Etat de droit, muselé la Justice ! 
D’où vient une telle vision d’apocalypse, quand on voit ce qui se passe sous d’autres cieux ? Des drames similaires s’y déroulent sans que le vivre-ensemble ne soit menacé par un déferlement de haine dans la poudrière des réseaux sociaux. On peut comprendre que certains nourrissent des rancœurs et des frustrations à l’endroit des autorités. Pourraient-ils cependant mettre le régime en procès tous les jours, de la manière la plus virulente, s’il n’y avait pas de démocratie au Cameroun ? La parole libre est en effet l’apanage des pays libres. Profitons-en, mais sachons rester mesurés, car la violence et l’excès rendent futiles et dérisoires les arguments développés. C’est aussi cela le sens de la mise en garde de la doyenne d’âge de l’Assemblée nationale aux médias. Dans ce drame où le pays joue sa crédibilité, nous devrions tous être dans le même camp, celui du Cameroun.
Laissons donc à la Justice le soin de corriger les errements des uns et des autres, et à l’Etat celui de réparer les brèches et de panser les blessures de la société, meurtrie par les outrances et les forfaits en tous genres.
A la vérité, les énergies des Camerounais et leur réflexion devraient pouvoir se concentrer également sur la construction sous-régionale. Car si la locomotive Cameroun s’essouffle, le projet communautaire se trouve mis en danger. 
Au moment où Paul Biya passe le flambeau de la Communauté à Faustin Archange Touadera, président de la Centrafrique, on peut penser que l’organisation se trouve à la croisée des chemins. Avec des défis anciens et nouveaux : le terrorisme et l’insécurité, la fragilisation économique entamée depuis le choc pétrolier, le déficit infrastructurel, la réticence de certains Etats à appliquer la libre circulation des biens et des personnes, la fusion avec la CEEAC, l’harmonisation réglementaire et tarifaire pour se préparer à la Zone de libre-échange continentale, la cryptomonnaie, l’avenir du franc CFA et depuis peu, la division du monde en deux blocs hostiles, symptomatique d’un conflit de leadership et d’un clivage géopolitique, auxquels l’Afrique ne souhaite pas s’identifier.
Un virage délicat à n’en point douter, tant les défis sont importants, et aussi complexes les uns que les autres. Pour amorcer cette nouvelle étape, il paraît important de relever l&rsq...

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