«Les débats ont une vertu pédagogique pour notre jeune démocratie»

Pr Marcelin Nguélé Abada, professeur titulaire des universités, agrégé en sciences juridiques et politiques.

Professeur, quelle appréciation faites-vous du travail du Conseil constitutionnel qui était à son coup d’essai en ce qui concerne l’élection présidentielle ?

Toute personne de bonne foi qui a suivi le processus électoral engagé depuis le 9 juillet 2018 par la convocation du corps électoral par décret du président de la République, processus qui va à son terme avec la promulgation des résultats et la prestation de serment du président élu, devrait se réjouir du niveau de maturité du système électoral camerounais et de nos institutions. C’est donc un sentiment de grande fierté doublé de satisfaction puisque tous les acteurs ont pleinement joué leur rôle. En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, il y a lieu de rappeler que c’est certes, un grand test dans le cadre d’une élection majeure, l’élection du président de la République. Relativement au scrutin présidentiel, reconnaissons que le Conseil constitutionnel a inscrit son action dans le strict respect de ses attributions constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel, au-delà de sa fonction consultative, est à la fois le garant de l’ordre constitutionnel en tant que juge de la normativité et l’arbitre du jeu politique, en ce qu’il veille à la régularité des élections nationales –donc de l’élection du président de la République ainsi que des opérations référendaires. Pour l’élection présidentielle du 7 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a veillé au respect scrupuleux non seulement des dispositions constitutionnelles, mais aussi du Code électoral et des procédures qui encadrent son office. Les procédures devant le Conseil constitutionnel sont essentiellement écrites. On ne plaide pas devant le Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel est saisi d’une requête écrite qui précise les faits et les moyens au soutien de cette requête. La requête doit être accompagnée des éléments de preuve. Il s’en suit l’instruction conduite par le conseiller-rapporteur qui prépare sous l’autorité de la collégialité du Conseil, le projet de décision. Le Code électoral, en son article 133(2), laisse la possibilité au Conseil constitutionnel d’entendre tout requérant sur les différents points ayant fait l’objet du recours. Il n’est pas question pour le re quérant de formuler des demandes nouvelles ou additionnelles. Ce n’est pas non plus la quantité des discours ou l’impressionnant collège des conseils, mais la qualité de la demande : précision des faits, rappel des moyens de droit et preuves des allégations. Les effets de manche n’influencent pas le Conseil constitutionnel. Toutefois, les débats admis devant le Conseil constitutionnel ont une vertu pédagogique pour notre jeune démocratie. Emmanuel Proudhon parlait de démopédie insistant sur l’éducation à la démocratie. Notre pays en a besoin. Les débats témoignaient du souci pour le Conseil de jouer pleinement le jeu au plan de la transparence et surtout d’éviter des relents de frustration de la part des candidats en pareille circonstance. Le Conseil constitutionnel administre la preuve qu’il est et entend demeurer l’arbitre impartial, ouvert à l’écoute, admirable pédagogue et toujours patient. Ce Conseil constitutionnel appelé à la vie depuis février dernier se présente comme l’indispensable garant de l’intégrité de la Constitution en réalisant, ce faisant, le « Lazare constitutionnel ».

Il y a eu une requête sur la récusation de cette institution par l’un des candidats à cette élection pour raison d’ « impartialité » de ses membres. Cet argument est-il solide ?

La récusation d’un ou de plusieurs membres d’une juridiction est courante, notamment dans le procès civil et surtout pénal. La question ne se pose pas de la même manière devant le Conseil constitutionnel. La demande formulée par certains candidats me semblait quelque peu spécieuse. J’ai rappelé les procédures devant le Conseil constitutionnel : compétence limitée, saisine encadrée et limitée. Rappelons ce qui était en cause dans cette affaire. Certains candidats estimaient que les membres du Conseil constitutionnel, du moins certains d’entre eux, continuaient à siéger dans les instances dirigeantes du RDPC : Comité central, Bureau politique ou les deux à la fois. S’agissant du président du Conseil constitutionnel, son impartialité serait mise en doute en raison du fait que son épouse est député de la nation, élue sous l’étiquette du RDPC. Il y aurait donc suspicion légitime fon dant la demande en récusation de ces membres et leur remplacement. Avant de présenter le cadre légal, il faut rappeler l’intention maléfique qui est derrière cette demande. C’est cette formation du Conseil constitutionnel qui a conduit les opérations des élections des sénateurs. Les candidats et au moins les partis qui les ont investis, ont pris part à cette consultation sans soulever une telle exception. C’est le Conseil constitutionnel dans sa composition, objet de récusation, qui a validé les candidatures des concernés à l’élection présidentielle, en application des dispositions du Code électoral. Cette demande n’a pas été formulée lors du contentieux de la candidature. Ce qui est ridicule dans cette démarche, c’est le cynisme des auteurs des requêtes et un agenda caché. Du point de vue du droit, il faut postuler que l’objectif des requêtes en récusation était la déclaration de fin prématurée du mandat des membres visés par le recours. La question qui se pose ici est de savoir qui a qualité pour saisir le Conseil constitutionnel aux fins de provoquer la cessation des fonctions d’un ou de plusieurs membres du Conseil constitutionnel. Il faut convoquer les dispositions de l’article 18 de la loi n°2004/005 du 21 avril 2004 fixant le Statut des membres du Conseil constitutionnel au terme duquel « le Conseil constitutionnel statuant à la majorité de deux tiers de ses membres, peut d’office ou à la demande de l’autorité de désignation, mettre fin, au terme d’une procédure contradictoire aux fonctions d’un membre qui aurait méconnu ses obligations, enfreint le régime des incompatibilités ou perdu la jouissance de ses droits civils et politiques, conformément aux modalités fixées par son règlement intérieur ». Il y a lieu de conclure que l’auteur de la demande en récusation a fait preuve soit d’une ignorance coupable de la loi, soit de mauvaise foi sur fond de cynisme politique. En tout état de cause, la fin prématurée du mandat d’un membre est décidée par le Conseil constitutionnel qui se saisit d’office en cas de manquement avéré ou à la demande de l’autorité de désignation -à savoir dans ce cas, le président de la République, es qualité ou en tant que président du Conseil supérieur de la magistrature, le président du Sénat ou le président de l’Assemblée nationale après avis respectif du bureau du Sénat et du bureau de l’Assemblée nationale. Tout recours, introduit par des personnes autres que celles visées ci-dessus est irrecevable pour défaut de qualité. Si l’on prend les exemples des démocraties avancées, les membres de la juridiction constitutionnelle proviennent du milieu politique. Le président du Conseil constitutionnel français est un ancien Premier secrétaire du Parti socialiste, ancien Premier ministre, ministre d’Etat, président de l’Assemblée nationale. Le juge à la Cour suprême américaine est un proche du président des Etats-Unis. Le Cameroun est bien avancé.

Certains requérants ont tenté de mettre en cause la crédibilité du Conseil constitutionnel. A votre avis, à quoi tient la crédibilité de cette institution ?

C’est un faux débat. Il faudrait plutôt s’interroger sur la crédibilité de certains candidats. Dans un Etat de droit, la règle est la même pour tous. En démocratie, les règles du jeu doivent être le credo de tous les acteurs. Lorsqu’un candidat s’autoproclame président élu en dehors des règles communes, ce n’est pas du côté du Conseil constitutionnel qu’il faut aller interroger les gages de crédibilité ou d’impartialité. Une partie de notre classe politique doit se former aux principes de la démocrati...

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