« Les mesures fiscales de soutien sont estimées à 114 milliards de F »

Modeste Mopa Fatoing, directeur général des Impôts.

Monsieur le directeur général, le chef de l’Etat vient de rendre publiques 19 mesures d’assouplissement des mesures de restrictions édictées dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Une dizaine d’entre elles sont d’ordre fiscal. Votre administration a sans doute été associée à l’élaboration de ces mesures. Quels sont les préalables qui ont conduit à leur validation ?

Les mesures fiscales figurent effectivement en bonne place dans le dispositif de soutien aux entreprises et aux ménages décidé par le président Paul Biya, et rendu public par le Premier ministre, chef du gouvernement. Ces mesures fiscales sont l’aboutissement d’un processus qui a consisté pour les autorités, dans le cadre d’une démarche participative, à bien apprécier l’impact de la crise sur les entreprises, ensuite à recenser les solutions envisageables, à les examiner, les évaluer et enfin à opérer des choix. Dès le déclenchement de la crise en effet, sous la houlette du ministre des Finances, l’administration fiscale a engagé des concertations avec l’ensemble du secteur privé à travers les groupements socioprofessionnels. Il s’agissait, pour l’essentiel, de recueillir auprès des principaux acteurs de l’économie, l’appréciation qu’ils font de la crise, de son impact sur leurs activités, et leurs propositions de mesures de soutien attendues des autorités.

En marge de ce dialogue avec le secteur privé, l’administration fiscale a, grâce toujours au dispositif de visioconférence, participé activement à de nombreuses initiatives d’échange et de mutualisation des meilleures pratiques fiscales de riposte face au Covid-19 lancées par les partenaires internationaux. Au terme de toutes ces consultations, les premières constatations faites ont montré que les entreprises camerounaises étaient affectées, à des degrés divers, par la crise du fait notamment du ralentissement de l’activité aussi bien au niveau international que national. Les concertations ont permis à cet égard d’identifier les secteurs les plus touchés par la crise, notamment l’hôtellerie, le transport, les entreprises dont les activités sont tournées vers l’extérieur; mais également ceux qui le sont moins ou très peu. L’ensemble des propositions recensées ont ensuite été examinées et soumises aux autorités en fonction des différents scénarii de la crise.

Pour décrypter de manière spécifique ces mesures, comment comprendre celle qui porte sur la suspension, au titre du 2ème trimestre 2020, des vérifications générales de comptabilité, sauf en cas de comportement fiscal suspect. A quoi cela renvoie-t-il ? 

Dans un système fiscal déclaratif comme le nôtre, c’est le contribuable qui déclare librement les activités qu’il a réalisées au titre d’une période ainsi que le montant de l’impôt correspondant à payer. Afin d’éviter que cette liberté ne donne lieu à des abus, des contrôles fiscaux sont régulièrement menés et aboutissent souvent à des corrections des déclarations précédemment souscrites ; ce qui permet de rétablir l’égalité de tous devant l’impôt. Au regard de l’impact de la crise sur la trésorerie des entreprises, les autorités ont voulu dispenser ces dernières des vérifications de comptabilité qui, par leur nature, sont susceptibles de donner lieu à des paiements immédiats d’impôts supplémentaires. Ces vérifications de comptabilité étant des contrôles sur place au sein des entreprises, l’exigence de respect des règles de distanciation a conforté également les autorités dans la prise de cette mesure.

Il y a toutefois lieu de relever que cette suspension ne s’applique pas en cas de comportement fiscal suspect ; c’est-à-dire lorsque pèsent sur une entreprise de forts soupçons de fraude ou de minoration de ses déclarations. Ce garde-fou permet en effet de limiter les abus et les effets d’aubaine qui, non seulement priveraient l’Etat de ressources, mais favoriseraient aussi des distorsions entre les contribuables citoyennes et celles qui ne le sont pas.

Monsieur le directeur général, le président de la République a décidé de soutenir les entreprises à travers l’allocation d’une enveloppe spéciale de 25 milliards de F, pour l’apurement des crédits de TVA en attente de remboursement. Est-ce suffisant pour apurer cette dette de l’Etat ?

Il me semble important de préciser d’emblée que les autorités ont beaucoup œuvré à l’amélioration ces dernières années de notre système de remboursement de crédits de TVA. A ce titre, on peut évoquer le mécanisme de compte séquestre mis en place qui permet d’allouer de façon automatique chaque mois 6 milliards de F aux opérations de remboursement des crédits de TVA ; le traitement des demandes suivant une approche axée sur les risques, rendant possible le remboursement spontané et sans contrôle préalable aux entreprises ne présentant pas de risque, les contrôles se faisant a posteriori ; et surtout la dématérialisation de toute la procédure de demande de remboursement des crédits de TVA déjà implémentée au niveau de la Direction des Grandes Entreprises. La seule difficulté qui subsistait jusque-là était celle liée au stock de crédits accumulé avant les réformes que je viens d’évoquer ; stock évalué à date à environ 25 milliards. D’où l’allocation de cette enveloppe spéciale d’égal montant qui permettra de résorber totalement ce stock en attente de remboursement. Je dois également préciser, pour que ce soit suffisamment clair, que cette enveloppe spéciale vient s’ajouter à celle initialement provisionnée de 72 milliards dans le budget de l’Etat au titre de l’exercice 2020.

Plusieurs exonérations de paiement de taxe sont annoncées : taxe foncière, taxe de séjour dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration pour le reste de l’exercice 2020, à compter du mois de mars ; l’exonération de l’impôt libératoire et de la taxe de stationnement pour les taxis et motos taxis, la taxe à l’essieu au titre du 2ème trimestre. Quelles étaient les prévisions de recettes à ces différents postes de recettes ?

Permettez-moi de préciser que s’agissant de la taxe foncière, il ne s’agit pas d’exonération, mais plutôt d’un report au 30 septembre de la date d’exigibilité de cette taxe normalement fixée au 30 juin. Cette mesure vise les ménages qui en sont les principaux redevables. Quant à la taxe à l’essieu, l’impôt libératoire et les autres taxes communales, il s’agit effectivement d’une exonération circonscrite au 2ème trimestre. En outre, le Chef de l’Etat avait déjà bien avant la publication des mesures du 30 avril 2020, acté l’exonération de la TVA et des droits de douane sur les matériels et équipements directement destinés à la lutte contre le Covid 19. Il faut savoir que les mesures de suspension des contrôles fiscaux et de recouvrement forcé ont également un coût.

Globalement, pour le moment l’ensemble des mesures fiscales de soutien décidées par les autorités est estimé à 114 milliards de F, soit 92 milliards au titre des recettes internes et 22 milliards au titre des recettes douanières. Ce coût fiscal, comme vous pouvez le deviner, ne représente qu’une portion du coût global engagé par les autorités dans le cadre de la riposte contre la grave pandémie du Covid- 19.

L’exonération, au titre du 2e trimestre, de l’impôt libératoire et des taxes communales (droit de place sur les marchés, etc.) au profit des petits revendeurs de vivres (bayam-sellam) est aussi entérinée. Les collectivités territoriales décentralisées ont déjà été sensibilisées ?

Comme vous l’avez bien perçu, ces mesures concernent directement les collectivités territoriales décentralisées qui sont les bénéficiaires du produit de ces prélèvements.  Dans le souci d’une application efficace de ces mesures sur le terrain, des concertations se tiennent avec tous les acteurs impliqués pour leur mise en œuvre harmonieuse. Dans tous les cas, le Premier ministre, chef du gouvernement, veille personnellement à ce que l’ensemble des mesures de soutien aux contribuables décidées par le chef de l’Etat soient scrupuleusement respectées. Nous travaillons dans ce sens sous l’encadrement du Ministre des Finances et de son homologue en charge des collectivités territoriales décentralisées. Parlant des compensations pour ces collectivités territoriales décentralisées, dans le cadre des nécessaires ajustements budgétaires à venir pour tenir compte de l’impact du Covid 19 sur les finances publiques de l’Etat et des CTD, les autorités feront, comme à l’accoutumée, les arbitrages nécessaires pour que les CTD puissent absorber ce choc externe.

De nouvelles mesures sont-elles envisageables, notamment pour un meilleur appui aux Petites et moyennes entreprises ?

Il me semble important de souligner d’emblée qu’à la lecture des neuf mesures décidées par le chef de l’Etat, aucune catégorie d’entreprise n’a été oubliée : les grandes, les moyennes, et les petites entreprises, et même les microentreprises ne sont pas en reste. On peut ainsi noter qu’aucune des mesures prises n’excluent les PME. Qu’il s’agisse du remboursement des crédits de TVA qui concer...

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