« Une nouvelle réalité politique est en gestation »

Karim Ben BECHER, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République Tunisienne au Cameroun.

Excellence, une crise s’est installée au sommet de l’Etat dans votre pays, avec un Premier ministre limogé, le parlement gelé. Comment la communauté tunisienne vit-elle cette situation à partir du Cameroun ?
Vous avez dit crise ? Moi j’estime que c’est la fin de la crise. Ce qui s’est passé le 25 juillet (limogeage du PM et gel du Parlement, Ndlr) est le dénouement d’une situation qui dure depuis une dizaine d’années. Le système qui s’est installé après la révolution de 2011 (Printemps arabe) a montré ses limites. J’étais en Tunisie le 25 juillet et j’ai bien vu ce qui s’est passé. L’initiative du président de la République a connu une adhésion populaire. C’était un grand soulagement. Il y avait un régime de partis politiques installés à l’Assemblée des Représentants (ARP) et qui jouaient leur jeu au détriment de l’intérêt national. Une sorte de lotissement de l’Etat au service des partis politiques s’ancrait et le système installé par la constitution de 2014 devenait intolérable. Le parlement n’était plus à la hauteur de ses responsabilités. Le chef de gouvernement était devenu l’otage des partis qui contrôlent le Parlement. Cela rendait la tâche ardue au chef de l’Etat. Pendant ce temps, le niveau de vie baissait, on constatait une gestion désastreuse de la crise de la Covid-19. La Tunisie a atteint le pic de 20 000 morts pour une population de 11 millions d’habitants à cause de l’incurie et de l’incompétence. C’est donc un dénouement qui se passe en ce moment en Tunisie. Ce dénouement doit ouvrir de nouvelles perspectives. Une nouvelle réalité politique est en cours de gestation. 
Depuis son accession à la magistrature suprême en octobre 2019, le président Kaïs Saïd a eu trois Premiers ministres en deux ans. Comment la gestion du pays est-elle possible dans un tel contexte ?
Le chef de l’Etat qui est élu au suffrage universel direct n’a pas la totalité du pouvoir exécutif. Il a l’autorité directe sur la diplomatie tunisienne et la défense nationale. Tout le reste est géré par le chef du gouvernement qui dispose d’un appui politique au Parlement. Cet appui est donné en fonction des intérêts des partis. Tout cela se transforme, non pas en jeu politique, mais en chantage quasi permanent. Si le Premier ministre ne plaît pas à ceux qui le soutiennent à l’ARP, ils lui retirent la confiance. Depuis 2019, il y a eu effectivement trois Premiers ministres. Le premier n’a pas eu la confiance de l’ARP. Le deuxième est resté six mois et été poussé à la démission parce qu’il n’était pas docile envers la coalition au Parlement. Le dernier a tourné le dos au chef de l’Etat pour jouer le jeu des partis majoritaires à l’ARP. Le chef de l’Etat a exercé les prérogatives que lui confère l’article 80 de la Constitution en le limogeant. Cet article dispose que quand il y a un danger imminent menaçant les institutions et l’Etat, le président de la République a la possibilité de geler le Parlement et d’exercer le pouvoir exécutif en attendant le retour de la situation à la normale. C’est ce qui s’est passé le 25 juillet dernier. 
Ne pensez-vous pas que cette situation est en partie due au fait que le chef de l’Etat n’a pas de parti politique ?
Il y a une part de vérité dans ce que vous dites. Mais le système électoral est fait de manière qu’aucun parti ne peut avoir la majorité à lui seul. Il faut impérativement une coalition. Le chef de l’Etat a la conviction que les partis politiques ne se battent pas toujours pour l’intérêt du peuple. En cela, il est dans une posture qui ressemble à celle du Général de Gaulle en 1958. Le chef de l’Etat est l’émanation de la volonté populaire. Les partis ne doivent pas dominer le pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif doit être dirigé par une seule personne qu’il soit de type parlementaire ou présidentiel.  Or en Tunisie, jusqu’ici, c’est un exécutif à deux têtes qui crée ces tensions. La décision du 25 juillet 2021 est un soulagement pour le peuple épuisé par cette accumulation de fatalités car c’était une chape de plomb qui pesait sur le pays et le chef de l’Etat a mis fin à cela.
Il y a eu des arrestations, la fermeture du bureau d’al Jazeera à Tunis, le prolongement de la durée du couvre-feu. Kaïs Saïd va-t-il réussir à donner de l’efficacité à l’Etat avec ces restrictions?
Il n’y a pas eu d’arrestations. Tout ce beau monde est libre et s’exprime : le prés...

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