« Il revient à chacun d’assurer sa sécurité »
- Par Rabiyatou IBRAHIM
- 09 nov. 2021 11:06
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Dr. Henri Tedongmo Teko, sociologue et enseignant à l’Université de Yaoundé I.
Les empoisonnements criminels prennent de l’ampleur dans la société camerounaise. Qu’est-ce qui peut expliquer la montée de ce phénomène ?
Il s’agit d’une forme subtile et insidieuse de criminalité qui s’intègre progressivement dans le quotidien des populations. L’une des spécificités de cette criminalité est le statut des victimes. Elles ont en commun la réussite et la prospérité. Ce sont généralement des jeunes qui sont sur le point d’effectuer un voyage vers l’Occident, qui vont bientôt convoler en justes noces, ou encore qui vivent en Occident et sont en vacances au Cameroun. Si cette typologie des victimes est la plus médiatisée, elle n’est cependant pas la seule. De nombreux autres cas s’inscrivent dans une typologie bien plus complexe et révèlent que la réussite et la prospérité des victimes, généralement considérées comme le mobile de leurs bourreaux peuvent différemment être perçues. En d’autres termes, la réussite d’une potentielle victime d’empoisonnement est essentiellement perçue comme telle par son empoisonneur. De même, la diversité de l’âge, du statut professionnel et du statut matrimonial des victimes d’actes d’empoisonnement révèle que tout individu peut être victime d’empoisonnement, pour peu qu’il se retrouve dans une situation qui suscite la convoitise d’autrui. Un acte d’empoisonnement est une réaction criminelle d’un individu envieux ou possessif qui vit la douleur de son échec et de son incapacité dans le reflet de la réussite de l’autre. L’observation attentive des cas d’empoisonnement les plus récurrents révèle des comportements de publicisation de la réussite par les victimes et une certaine croyance naïve selon laquelle tout le monde partagerait la même joie qu’elles. Dans les sociétés où les mécanismes de l’ascension sociale sont flous et incertains, la réussite devient un exploit qui ne peut être réalisé que par une minorité d’individus. Dès lors, il est possible que les individus constituant la majorité développent des sentiments de frustration, d’aigreur et de possessivité. L’existence d’une corrélation positive entre le mal-développement, la crise de la mobilité sociale et l’inflation du nombre de cas d’empoisonnement dans une société est envisageable. D’ailleurs, un acte d’empoisonnement peut avoir une visée offensive ou défensive selon la rationalité de l’empoisonneur. La visée est offensive lorsque l’empoisonneur croit qu’en détruisant celui qui a réussi, il détruit le reflet de son échec que la réussite de la victime lui renvoie. Par cette destruction, l’empoisonneur de manière inconsciente espère corriger une injustice sociale. On peut parler ici de l’empoisonneur de type révolté. Par contre, lorsqu’un individu a recours à l’empoisonnement comme moyens de destruction de ceux qu’il perçoit comme des menaces directes ou indirectes à son bonheur ou à l’accès à son bonheur, la visée est défensive. Ici, il s’agit d’un empoisonneur de type égoïste. Dans tous les cas, un empoisonneur est un lâche qui, incapable d’accepter et d’assumer son échec ou son incapacité pose des actes criminels dans l’optique de combler désespérément sa misère existentielle.
Au regard de ce que le phénomène prend de l’ampleur, installant un climat de méfiance dans les familles, les lieux de service et d’échanges, les relations déjà distendues par les crises sanitaires et économiques ne vont-elles pas prendre un sacré coup ?
Dans un environnement où les cas de réussite sont rares, tous ceux qui réussissent sont exposés autant dans les relations familiales, professionnelles qu’amicales. Les crises sanitaires et économiques apparaissent comme des facteurs stimulants de cette forme de criminalité puisqu’elles contribuent à rendre davantage difficiles l’accès à la réussite, du ...
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