« Le Mozambique est pris en tenaille »

Dr. Didier Badjeck, spécialiste des questions sécuritaires.

Quels sont selon vous, les grands résultats de la lutte contre le terrorisme au Mozambique ?
Les résultats sont mitigés. Sur le plan international, l’on peut remarquer que la province du Cabo Delgado suscite beaucoup d’intérêts. Toutefois, l’absence d’un véritable leadership dans la zone, difficile d’ailleurs à implémenter du fait de la souveraineté du Mozambique, grève toute approche pertinente. La province se bunkérise par une flopée d’acteurs civils et militaires, étatiques et privés qui, pour le moins, ne semblent pas converger vers des solutions d’amélioration de la gouvernance en faveur des populations locales extrêmement démunies. Ce contexte qui favorise par ailleurs une industrie de la guerre, a assis un lit confortable à l’insurrection terroriste djihadiste Ahlu al-Sunna Wal-Jamaa (ASWJ). Le groupe fonde la légitimité de son combat sur les revendications socio-économiques. Il s’est désolidarisé du Conseil islamique du Mozambique, rejetant toute vision quiétiste et appelle à la charia, tout en aguichant au passage, des sympathisants qui manifestent de forts relents d’exclusion. Il faudrait relever la stratégie opportune de l’ASWJ qui navigue sur les rhétoriques islamistes, les rivalités ethniques et religieuses de la province, et l’histoire chargée de la lutte entre le Front de libération du Mozambique (FRELIMO) et le parti de la Resitência National Moçambicana (RENAMO). 
Faisant suite à l’attaque brutale des installations de la firme Total en mars 2021, le conflit du Cabo Delgado a connu une intensification au niveau international appuyé avec une communication conséquente. Sous la pression des pays de la Southern African Development Community, le président mozambicain Felipe Nyusi a reculé pour accepter un projet de sécurisation globale, intégrant les partenaires étrangers et ceux de la SADC. Malgré cela, et nonobstant la présence de nombreuses entreprises militaires de sécurité privée (EMSP), la situation sécuritaire reste très dégradée. Les personnes ayant fui les zones visées par le terrorisme sont encore déplacées dans la province et les attaques perdurent avec intensité dans plusieurs districts. De nombreuses contributions apportées auraient dû produire des résultats plus probants sur le terrain. La situation sécuritaire du Cabo Delgado tend plus vers celle d’un enlisement, toute chose qui motive à une résolution politique de la crise, en tenant compte de manière plus existentielle aux problèmes de gouvernance de la Province.  
 
Plusieurs dizaines d’acteurs sont au front pour le même but. Le pays joue-t-il avec efficacité son rôle de coordination face aux enjeux ailleurs que sécuritaire?
C’est certainement à ce niveau que le bât blesse. Les acteurs directs de la crise interviennent plus dans le cadre de leurs intérêts économiques, politiques ou même stratégiques, plutôt que de prendre réellement en compte ceux qui gravitent autour des populations locales. Par ailleurs, les positions éruptives d’autres théâtres peuvent être importées et communiquer des rémanences de tensions. L’on pourrait citer actuellement les tensions qui existent entre la Russie et l’Occident. Ces acteurs en l’état actuel de leurs relations extrêmement viciées, relativement au conflit entre la Russie et l’Ukraine ne peuvent agir de manière concertée au profit des intérêts mozambicains. En marge de ces acteurs étatiques, beaucoup d’acteurs privés interviennent sans règles d’engagement. Pour ne citer que certaines, il y a le groupe Wagner russe, le groupe sud-africain Dyck Advisory Group (DAG), le Frontier Service Group de la société Hong Kong, le G4S britannique et le groupe Amarante recruté par Total. Le Mozambique est donc pris en tenaille aussi bien par ces groupes militaires privés que par les axes d’influences stratégiques qui mettent en présence, l’Afrique du Sud, le Rwanda, la Russie et l’Occident, pour ne citer que les pays qui ont une forte implication. Sur le plan de l’africanisation de la défense, nous aurions penché pour des opérations confiées à la SADC vers laquelle toutes les contributions migreraient et dont l’exécution vertueuse des missions s’inscrirait dans le cadre de règles d’engagement définies. Ce n’est pas le cas malheureusement et chacun joue sa partition. 
Dans la province du Cabo Delgado, la Russie poursuit sa politique de pénétration en Afrique, la France avec la société Total et les Etats-Unis avec Exxon protègent leurs int&eacu...

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