Incontournable Cameroun

Alors que les lampions se sont éteints depuis quelques jours sur la première visite d’Emmanuel Macron en terre camerounaise, les commentateurs sont loin d’avoir rangé leur plume ou leur micro. Tant les contours de ce rendez-vous au sommet suscitent l’intérêt et des interrogations multiples chez les exégètes de tout bord. Il n’aura échappé à personne que jamais auparavant, les médias occidentaux n’avaient accordé une telle place à un évènement, même d’envergure mondiale, organisé au Cameroun. Nos compatriotes doivent donc s’en convaincre : ce périple diplomatique africain du locataire de l’Elysée, avec, au centre, la rencontre Biya–Macron à Yaoundé, est un évènement de poids, dont les suites intéressent au plus haut point les autres rives du monde.
Analysée au départ comme une tentative de recoller les morceaux et de resserrer les liens quelque peu distendus par des incompréhensions, l’on doit admettre que cette visite relève aussi, et bien davantage encore, de la géopolitique. Alors que le monde se fracture entre l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), ses alliés d’une part et la Russie d’autre part au sujet de la guerre russo-ukrainienne, les grands de ce monde comptent leurs amis. L’objectif étant, pour les uns, d’isoler diplomatiquement la Russie, et pour les autres, de constituer autour de cette même Russie, une coalition de nouveaux pays émergents à même de créer un pôle alternatif de la gouvernance mondiale. 
Ce qui est demeuré constant face à cet antagonisme inédit, c’est la position du Cameroun. Elle a été réitérée lors de la conférence de presse conjointe des deux chefs d’Etat, mardi dernier à Yaoundé : la logique de la confrontation doit céder le pas à celle de la conciliation et du dialogue, selon les mots même de Paul Biya. Pour le président camerounais, à aucun prix, le monde ne doit devenir un champ de guerre. Il exprimait aussi dans cette prise de position l’un des piliers de la diplomatie camerounaise, maintes fois éprouvée sur le terrain, notamment lors du conflit territorial avec le Nigeria, au sujet de la péninsule de Bakassi. 
Pour esquisser un bilan de cette visite officielle, l’on peut braquer le regard sur l’environnement immédiat, fort dégradé. Le Cameroun et la France décident de refonder leur relation dans un contexte difficile où le Cameroun a subi une triple crise sécuritaire, économique et sanitaire, qui a laissé un écosystème fragile, voire exsangue. La France elle-même n’a pas été épargnée. Ce n’est un secret pour personne : l’effort de guerre contre Boko Haram et la sécession armée pèse lourdement sur le budget de l’Etat, sans compter le phénomène de corruption, toujours prégnant, malgré une campagne acharnée et des efforts méritoires de la Commission nationale anti-corruption (CONAC). Si bien que les projets d’infrastructures et d’autres grandes réalisations n’ont pas, pour certains, été conduits à terme.
Le pays a donc grand besoin de ses partenaires, de compréhension, mais aussi et surtout d’investissements, de financements, pour corriger les errements du passé et conduire son projet de développement à bon port. 
Avec le président français, de nouveaux champs de la coopération ont été déblayés : agriculture, industrie, infrastructures, formation et développement local. Il faut s’en réjouir : ils correspondent point par point aux secteurs identifiés comme prioritaires par le gouvernement lui-même. Et si le partenaire français déplore des pratiques de corruption qui ne favorisent pas une égalité de chances entre soumissionnaires, le gouvernement devrait, sans fausse susceptibilité, questionner la transparence du système de passation des marchés afin de rétablir la confiance entre partenaires de longue date. La promesse de déclassifier les archives de l’époque coloniale et de mettre en place un collège d’historiens pour redire le passé commun qui hante encore les imaginaires va d’ailleurs dans le même sens : restaurer la confiance mutuelle et libérer les consciences, avancer vers l’avenir. 
A la vérité, comme nous l’avons esquissé, la géopolitique était le cœur même de cette visite d’Emmanuel Macron au Cameroun. Après avoir tenté de « contourner » Yaoundé pour de mauvaises raisons, le camp occidental a dû changer de stratégie, à l’heure du clash sans merci entre grandes puissances et puissances émergentes : le pays de Paul Biya est apparu trop important pour le laisser à l’influence russe. Que faut-il comprendre ? Que le « Sphinx » Biya a réussi à positionner son pays au centre du jeu géostratégique mondial, contre toute attente. Yaoundé est ainsi devenue l’une des places où se joue le destin du monde. Belle victoire diplomatique, amplement justifiée.
Autant le dire : il n’y a là rien de hasardeux, car la même guerre de positionnement se jouait dans le même temps avec d’autres acteurs, non loin de là : le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, était en tournée africaine, sur la même thématique. Dans un chassé-croisé étonnant avec son homologue amé...

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