Sécurité alimentaire : le gouvernement sur plusieurs fronts

L’une des thématiques abordées au cours de la dernière visite du président Emmanuel Macron au Cameroun du 25 au 26 juillet dernier était la sécurité alimentaire. Un sujet qui s’est imposé au vu du contexte imposé par les répercussions du Covid-19 et la crise ukrainienne qui ont conduit à une situation d’inflation généralisée. Le ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire, Alamine Ousmane Mey, prenait part à cette réflexion. La politique de l’import-substitution s’est avérée comme la solution inévitable pour assurer la sécurité et la souveraineté alimentaire au Cameroun. Dans cette interview accordée à CT, le Minepat revient sur les actions du gouvernement pour aboutir à une autosuffisance nationale, les perspectives de la politique nationale d’import-substitution. Mais aussi le contexte économique mondial actuel, l’état de la coopération économique et financière avec la France… 

La visite officielle du président français au Cameroun s’est déroulée dans un contexte économique mondial assez particulier. Que pouvez-vous nous en dire?
Vous avez raison de relever la particularité de la conjoncture mondiale actuelle marquée par une turbulence d’envergure et d’une complexité rares. Depuis bientôt trois années, le monde tout entier est résolument engagé dans la riposte à la pandémie du Covid-19 et la reconstruction en mieux des économies au regard des conséquences humaines, économiques, financières et sociales causées par cette crise sanitaire. Le double choc sur l’offre et la demande en 2020 a engendré une récession mondiale et débouché sur une forte perturbation des chaînes logistiques d’approvisionnement sur lesquelles reposent les échanges commerciaux. La baisse voire l’arrêt des activités de production dans certains secteurs a entrainé la rareté de produits essentiels et enclenché une dynamique inflationniste déjà en 2021. Malheureusement, nous enregistrons depuis le début de cette année 2022, de nouveaux chocs violents sur les produits énergétiques, alimentaires et sur les intrants agricoles. Cette situation fortement liée au conflit russo-ukrainien affecte l’ensemble des pays du monde par divers canaux de transmission. L’une des manifestations est la forte inflation que nous importons à travers nos échanges. Elle perturbe la relance économique et ajoute de la pression sur les finances publiques des Etats. L’orientation déficitaire des soldes budgétaires accentue l’endettement et fragilise la soutenabilité de la dette publique au moment où l’on assiste à un resserrement des conditions d’accès aux marchés de capitaux. Le relèvement des taux directeurs des principales banques centrales dans la perspective d’assurer la stabilité des prix à la consommation a comme corollaire le renchérissement du loyer de l’argent et induit en partie un reflux des investissements étrangers. Le risque de voir la croissance économique mondiale freinée est réel surtout quand la Chine, un des principaux moteurs de la croissance mondiale, connaît des performances en deçà de ses prévisions au cours du premier semestre de l’année. Dans ce contexte, le FMI, la Banque mondiale ont récemment révisé à la baisse les perspectives de croissance du monde de 6,1% en 2021 à 3,6% en 2022. C’est dire que la lutte contre l’inflation galopante, le retour à une croissance économique plus robuste, endogène et inclusive, la restauration des équilibres macro-économiques intérieurs et extérieurs constituent à n’en point douter les chantiers prioritaires du moment dans les différents pays africains, le Cameroun avec.
Quel est l’impact de la conjoncture actuelle sur l’économie camerounaise?
L’économie camerounaise n’est pas épargnée par la crise russo-ukrainienne avec comme épicentre les secteurs de l’énergie et de l’agriculture. L’agriculture dans notre pays concentre plus de 40% de la population active et le secteur primaire contribue à près de 20% au PIB. Toute perturbation dans l’approvisionnement en engrais et l’absence de certains produits agricoles sur les marchés, à l’instar du blé, ont des conséquences immédiates dans ce secteur et sur le plan alimentaire. Hélas, nous faisions déjà face à de nombreux défis sécuritaires, économiques, financiers et sociaux. Toutefois, le gouvernement poursuit, malgré le contexte difficile, la mise en œuvre des politiques publiques visant la consolidation macro-économique, la préservation du pouvoir d’achat, et une relance économique forte et inclusive. D’abord, en ce qui concerne la pandémie du Covid-19, des mesures gouvernementales sanitaires, économiques, financières et sociales ont été mises en œuvre sous la très haute impulsion du Chef de l’Etat et la coordination efficace du Premier ministre, Chef du gouvernement. Elles ont permis à notre pays de faire preuve de résilience, de maîtriser la pandémie, d’afficher un taux de croissance de 3,6% en 2021 après une année 2020 ayant enregistré une croissance de 0,5% et une inflation en dessous de 3%. Pour 2022, nos prévisions tablent sur un taux de croissance légèrement supérieur à 4%. Cependant, il faut reconnaître que notre économie n’échappe pas aux effets dévastateurs de l’inflation galopante sur le pouvoir d’achat et le coût des produits de première nécessité. 
Comment le gouvernement répond-il à ces chocs multiformes ? 
L’Etat a très vite mis à contribution, pour lutter contre la vie chère, l’ensemble des leviers budgétaires et fiscaux pour absorber ces nouveaux chocs, assurer la disponibilité des produits sur le marché à des prix abordables et maintenir en activité l’appareil de production préservant ainsi les emplois et la stabilité sociale. Ces nombreux efforts, faut-il le relever, ont un coût important qui grève nos finances publiques. Les dépenses fiscales dans divers secteurs d’activités et les subventions aux produits énergétiques sont en hausse et représentent plus de 3% du PIB créant un effet d’éviction sur les dépenses prioritaires de l’Etat particulièrement en investissement. La récente loi de finances rectificative en est la traduction et illustre la volonté du Cameroun d’ajuster ses prévisions de recettes et de dépenses aux nouvelles réalités macro-économiques mondiales, dorénavant différentes des données prévisionnelles ayant servi de base au cadrage budgétaire en fin d’année 2021. Il s’agit pour les pouvoirs publics de consolider la viabilité du budget de l’Etat et d’assurer une exécution optimale des politiques publiques. Bien entendu, compte tenu des incertitudes grandissantes relativement aux perspectives économiques mondiales, la prudence reste de mise, l’amélioration de la qualité de la dépense une priorité, la poursuite des mesures de solidarité nationale en faveur des plus vulnérables une nécessité à renforcer et optimiser par un meilleur ciblage pour plus d’efficacité.
Pour revenir à la visite de travail du président français au Cameroun, quel est l’état des relations de coopération économique et financière entre les deux pays dans ce contexte que vous venez de décrire?
Le Cameroun et la France entretiennent d’excellentes relations d’amitié et de coopération au regard de la taille et la diversité du portefeuille de projets mis en œuvre dans notre pays. Cette coopération contribue positivement à notre performance économique. Pour cela, tous les instruments de la coopération financière avec la France sont mobilisés. Le Contrat désendettement-développement (C2D) représente une enveloppe globale de 1 000 milliards de F affectés depuis 2006 aux secteurs prioritaires de notre développement. On pourrait citer les infrastructures, le développement rural (agriculture et élevage), la santé, l’éducation, le développement urbain et bien d’autres. A titre d’illustration, les villes de Garoua, Bertoua et Bafoussam font partie du projet emblématique « capitales régionales » dans sa phase 1 qui a transformé le paysage urbain de ces localités. Bamenda et Maroua sont dans le deuxième wagon du même projet. La France soutient par ailleurs nos Programmes économiques et financiers avec le FMI comme le font la Banque mondiale, la BAD et l’UE par des appuis budgétaires. La France a alloué un montant total de près de 500 millions d’euros. Elle nous accompagne aussi dans la mise en œuvre de réformes majeures en finances publiques. Des prêts non souverains accordés ou en cours d’approbation bénéficient aux entreprises ADC, SODECOTON, PAD. Plusieurs opérations d’assistance technique s’exécutent auprès de diverses administrations publiques mobilisant d’importantes ressources sous forme de subvention. Dans le secteur privé, des multinationales françaises de notoriété établie opèrent au Cameroun entre autres dans l’agro-industrie depuis plusieurs décennies et participent à la création d’emplois, de la richesse tout en contribuant au financement du budget de l’Etat à travers les impôts levés. Si on peut se satisfaire à juste titre du chemin parcouru jusqu’ici, les nombreux défis futurs nécessitent une véritable accélération, une profonde transformation structurelle et la mise en place rapide de solides chaînes de valeur régionales et nationales. 
S’agissant du contexte alimentaire mondial, vous avez pris part avec vos collègues du Minader et du Minepia à la table ronde sur la sécurité alimentaire organisée en marge de la visite du Président Macron. Quelles ont été vos conclusions ?
La thématique sur la sécurité alimentaire est d’une actualité brûlante. Il faut dire que la question de la sécurité alimentaire comme celle de la riposte à la pandémie du Covid-19 ont l’avantage de mettre en exergue les insuffisances structurelles de nos modèles de production, de développement et nos modes de consommation. Nos discussions à ce sujet ont eu pour cadre l’initiative française FARM et les orientations de notre SND30 en matière de développement rural. Le premier pilier de cette initiative vise la transparence sur les marchés et le non recours aux restrictions dans les échanges commerciaux des produits de première nécessité pour lutter contre l’inflation. Ceci passe également par la levée des contraintes sur les transactions avec la Russie et l’Ukraine sur les produits alimentaires. Ce qui en faciliterait le financement et le transport. Le pilier solidarité de FARM traite de l’accès aux produits essentiels par les pays vulnérables. Il s’agit ici de répondre à leurs besoins urgents afin d’éviter la crise alimentaire. Le troisième pilier porte sur la production agricole. C’est la dimension la plus structurante de la réponse à la crise dans la perspective d’une plus grande souveraineté alimentaire. Cette démarche est alignée sur l’option stratégique du Cameroun en faveur d’une transformation structurelle vers un développement inclusif. L’objectif principal est d’approfondir l’industrialisation du Cameroun grâce à une plus large intégration des chaînes de valeur. En la matière l’agriculture, l’élevage nous offre les meilleures opportunités possibles. Ensemble avec les partenaires gouvernementaux et privés français nous avons convenu d’apporter des réponses appropriées. Des filières prioritaires (maïs, riz, blé) ont été retenues et feront l’objet d’une élaboration  d’un plan d’action devant aboutir à une autosuffisance nationale. 
Cette stratégie intègre-t-elle la production d’intrants agricoles ?
S’agissant de l’amélioration de  l’accès aux intrants agricoles, notre économie devra disposer d’une unité de production locale d’engrais. En soutien à cela, nous avons convenu de renforcer la formation agricole, de mettre en place des financements adaptés pour les exploitations de petite et moyenne taille. Le Cameroun bénéficie actuellement des financements de la Banque mondiale à concurrence de 51 milliards de F et la BAD à hauteur de 41 milliards de F pour répondre aux besoins urgents et engager les actions de mutation de notre production. Toujours sur le plan financier, le Président français a prescrit à l’AFD, Proparco, BPI France la mise en place un Fond d’investissement dont l’objectif est de réduire les risques dans les filières agricoles, accompagner les promoteurs de Tpe et Pme agricoles par des financements adéquats et participer au développement d’une agro-industrie camerounaise prospère. Cette démarche devant être soutenue par une meilleure structuration des filières, une plus grande professionnalisation, le renforcement de la recherche et la vulgarisation des résultats avec l’appui des pouvoirs publics. Le FIDA a dans ce contexte annoncé son appui institutionnel à l’initiative FARM et promis d’accompagner nos Etats dans leur quête de sécurité alimentaire sur la base d’une production agricole compétitive, durable et capable de résister aux changements climatiques.
Où situez-vous la politique camerounaise d’import substitution dans ce contexte?
La politique camerounaise d’import-substitution trouve toute sa place et conserve sa pertinence. En effet, un pays aussi riche en facteurs naturels susceptibles de lui garanti...

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