« Le statu quo ou la suppression des subventions sont des options suicidaires »

Emmanuel Noubissie Ngankam, économiste et ancien haut fonctionnaire de la Banque mondiale.

Le Trésor public du Cameroun pourrait dépenser cette année entre 780 et 800 milliards de F (environ 13% du budget de l’Etat), seulement pour subventionner les prix des carburants à la pompe. Ce niveau de subvention est-il soutenable dans la conjoncture actuelle ?
Vous faites bien d’indiquer la conjoncture actuelle qui, il faut le relever, est marquée entre autres par le prix du pétrole brut au-dessus de 100 dollars le baril. Dans un tel contexte il est absolument insoutenable de consacrer près de 800 milliards de F aux subventions des carburants. La soutenabilité est une notion qui renvoie à la persistance dans le temps. Le niveau actuel de ces subventions est davantage insoutenable et même corrosif quand on le rapporte   à un certain nombre d’agrégats macroéconomiques. C’est 13% du budget de l’Etat comme vous l’avez mentionné, environ 3% de la richesse nationale (PIB). Bien plus, c’est l’équivalent du déficit budgétaire du Cameroun qui est projeté à environ -787 milliards de F en 2022. Ce niveau de déficit (solde primaire) indique clairement l’incapacité de l’Etat à financer ses dépenses de fonctionnement sur ses ressources propres alors qu’en même temps un montant équivalent est consacré aux subventions des carburants.

 La récente pénurie des carburants a relancé le débat sur l’enjeu et l’opportunité de ces subventions aujourd’hui. Les extrémistes prônent, pour les uns, le maintien des subventions au niveau actuel et pour les autres, la suppression des subventions pour appliquer la vérité des prix à la pompe. Où doit se situer le gouvernement et que doit-il faire concrètement pour s’en sortir sur le long terme ?
La récente pénurie a été une alerte sérieuse. Les extrémistes auxquels vous faites allusion sont mus par des considérations que je ne partage pas. Le statu quo ou la suppression pure et simple des subventions sont des options suicidaires pour l’ensemble de la collectivité. La suppression des subventions reviendrait à demander au consommateur de payer le litre d’essence à environ 1035 F, le gasoil à 1000 F et le pétrole lampant à 800 F. Ce serait allumer la mèche de la bombe sociale. Les subventions ont un caractère social et vertueux qu’il faut préserver à un niveau compatible avec des choix rationnels. Si j’avais une recommandation à faire, je suggèrerais de revisiter la marge de manœuvre dont dispose le gouvernement dans la structure des prix des hydrocarbures et de faire des arbitrages réalistes et soutenables. L’un des arbitrages consisterait à maintenir l’enveloppe budgétaire des subventions à 480 milliards de F telle que retenue dans la loi de finances rectificative adoptée en juin dernier. Une telle option induirait une augmentation des prix à la pompe de 20 à 25%. L’essence serait vendue à environ 780 F le litre contre 630 F actuellement, le gasoil à 700 contre 575 et le pétrole lampant à 450 contre 350. L’augmentation des prix à la pompe et le maintien d’un niveau soutenable de subventions pourraient s’accompagner d’une réduction de certaines taxes qui grèvent les prix des carburants. Il s’agit entre autres, de la TVA, des droits de douanes et de la Taxe Spéciale sur les Produits Pétroliers (TSPP) qui s’élèvent cumulativement à 278 F /litre pour l’essence, 247 pour le gasoil et 74 pour le pétrole lampant. D’autres variantes sont envisageables tout en préservant à la fois l’équité sociale et la stabilité macroéconomique.

Dans un contexte marqué par des tensions inflationnistes, des voix s’élèvent également pour mettre en garde le gouvernement contre toute augmentation disproportionnée des prix des carburants qui alimenterait davantage une hausse des prix déjà difficile à contrôler. D’après vous, quelles sont les mesures d’accompagnement à prendre, au cas où un ajustement des prix des carburants serait opéré, pour maîtriser l’inflation et protéger les populations les plus vulnérables ?
Il est évident qu’une augmentation des prix des carburants aurait une incidence sur le niveau général des prix. Des mesures d’accompagnement ciblées peuvent et doivent être envisagées. Il vous souvient qu’en 2014 une augmentation des prix à la pompe avait été accompagnée d’un rabattement des taxes dans le secteur des transports, d’une augmentation des salaires de 5% etc. Cela dit, l’une des mesures les plus importantes serait la mise en place d’un mécanisme de révision automatique des prix indexé sur le cours du baril de pétrole. Une baisse sur le marché international induirait automatiquement une réduction des prix à la pompe. A ce sujet, il faut rappeler qu’en 2020 par exemple, les cours étaient relativement bas ce qui a induit des subventions négatives c’est-à-dire que les prix à la pompe étaient supérieurs aux prix du marché. Dans un tel contexte, l’Etat a engrangé d’importantes plus-values.

Quoi qu’on dise, la pilule de l’augmentation des prix des carburants à la pompe sera difficile à avaler par bon nombre de Camerounais qui ont du mal à boucler leurs fins de mois. Dans ces conditions, une concertation préalable ne s’impose-t-elle pas entre le gouvernement et les partenaires sociaux (syndicats des transporteurs et société civile) pour dégager un consensus sur ...

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