« Ce désengagement aura des répercussions considérables »

Dr Christian Pout, ministre plénipotentiaire, président du Think Tank Ceides, directeur du Séminaire de géopolitique africaine, Catholic Institute of Paris.

Plusieurs Etats partenaires de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) ont annoncé leur retrait de cette force. Qu’est-ce qui, selon vous, explique ces retraits en série ?
De façon synthétique, on peut s’avancer à dire que les motifs de retrait de certains Etats de la Minusma sont dus à des considérations d’ordre sociopolitique et à l’existence avérée ou non d’entraves opérationnelles. Dans le registre des obstacles sociopolitiques, les autorités de transition maliennes ont plusieurs fois dénoncé les bavures des forces internationales et accusé les instances dirigeantes et techniques de la Minusma de ne pas suffisamment coopérer et d’agir dans le seul intérêt du Mali selon les orientations politiques et sécuritaires définies par elles. Dans le même temps, quelques pays d’origine de plusieurs contingents africains et européens de la Minusma ont reproché aux autorités maliennes des lenteurs dans la mise en œuvre des résolutions devant garantir le retour à l’ordre constitutionnel, selon les termes de l’Accord de paix issu du processus d’Alger. Des accusations de violation des droits de l’Homme et du droit international humanitaire ont également été faites, de même que des dénonciations sur la non traduction en justice de certains membres des forces de défense et de sécurité maliennes soupçonnées d’exactions, notamment sur des communautés en particulier. Concernant les difficultés opérationnelles, de nombreuses plaintes ont été enregistrées au sujet des agressions et attaques, qui ont pour certaines causées la mort de plusieurs casques bleus. Pour quelques Etats, la mort de ces soldats de la paix auraient pu être évitée, si le Mali avait pris ses responsabilités en entretenant des rapports de coopération et de confiance plus étroits et cordiaux avec ses partenaires dans la lutte contre les groupes extrémistes. Il va sans dire que les restrictions imposées par le Mali n’ont pas aidé à assainir ses relations avec la Minusma. Selon un rapport du secrétaire général de l’ONU, 20 cas de restrictions aux mouvements terrestres de la mission, ainsi que 22 cas de restrictions à ses mouvements aériens ont été relevés. On anticipe aisément les problèmes de réactivité que cela a pu occasionner. 
Par ailleurs, il convient de souligner que le retrait de certains Etats a aussi été influencé par des mésententes sur les options stratégiques et coopératives adoptées par les autorités de transition maliennes. A titre d’exemple, le rapprochement de celles-ci avec le groupe russe Wagner dans la conduite de certaines opérations et activités n’a pas toujours été vu d’un très bon œil. Pour les autorités maliennes, la désapprobation publique de ces choix et d’autres mesures a parfois été perçue comme une atteinte à la souveraineté du Mali. Cela a contribué à alimenter des crises diplomatiques et à susciter la défiance y compris au sein de la population. Je signale ici par exemple l’expulsion d’Olivier Salgado, porte-parole de la Minusma, le 20 juillet 2022, suite à ses propos dans le cadre de la détention de 49 soldats ivoiriens considérés comme des mercenaires par les autorités maliennes. Aussi, de nombreux incidents ont été répertoriés, notamment, en mai à Aghelhok contre des forces de la Minusma. Ce dernier acte de défiance populaire démontrait la présence d’un malaise qui prenait des proportions inquiétantes. Les tensions récurrentes entre les autorités de transition maliennes, la Minusma et des Etats étrangers sur des questions relevant aux premiers abords du domaine réservé du Mali ont parfois donné l’impression à tort aux acteurs locaux et aux communautés que certains partenaires du Mali avaient des agendas cachés. Cela a accentué les perceptions négatives sur les partenaires internationaux actifs au Mali. Pour prendre un exemple, une enquête d’opinion publiée en mai 2022 au Mali par la Friedrich-Ebert-Stiftung montrait que les principaux reproches formulés par les personnes insatisfaites du travail de la Minusma étaient : ne pas protéger les populations contre la violence des groupes armés (72%), se protéger elle-même (43%), son mandat n’est pas suffisamment connu (29%) et être complice des groupes armés (28%). Ces statistiques fournissent un point de départ assez intéressant pour analyser l’imaginaire collectif au Mali. De ces différents éléments, on peut comprendre le retrait déjà acté ou annoncé des Etats qui considèrent que les conditions sociopolitiques et opérationnelles n’étaient plus réunies pour rester engagés au Mali, à l’instar du Royaume-Uni, Egypte, Bénin, Côte d’Ivoire, Suède, France, qui a dernièrement mis fin à sa mission Barkhane.  

Quel peut-être l’impact de ces départs annoncés dans la lutte contre le terrorisme au Mali et sur l’efficacité de la force onusienne ?
La situation au Mali reste fragile, malgré les mesures de riposte adoptées par les autorités de transition maliennes pour stopper et contenir la violence armée. Des millions de Maliens sont encore confrontés à l’insécurité alimentaire, plus d’un tiers d’entre eux survivent grâce à l’aide humanitaire. Dans plusieurs régions, les conditions sécuritaires continuent de se dégrader du fait de l’augmentation des attaques transfrontalières et de la violence intra et intercommunautaire. A l’échelle locale, cette violence est nourrie par des rivalités entre fractions, milices (peuls, la katiba Macina ou encore les dogons), et groupes d’autodéfense qui profitent de l’insuffisant maillage étatique et sécuritaire pour essayer de contrôler des parcelles du territoire national. L’affaiblissement et l’absence des institutions capables de consolider l’autorité de l’Etat sur le terrain n’aident pas à rassurer la population qui demeure vulnérable et exposée aux attaques des groupes extrémistes ou parfois aux abus des forces de défense et de sécurité. Les difficultés supplémentaires engendrées par la pauvreté ambiante, la récession économique, voire même par le changement climatique place le Mali et ses partenaires internationaux en mauvaise posture. Dans cet engrenage, l’appui des Etats étrangers et leurs contingents engagés localement avait l’avantage d’atténuer certaines vulnérabilités. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, la présence de plusieurs contingents venus d’horizons différents aidait pour le moral des troupes nationales et contribuait à faire passer un message aux groupes extrémistes actifs dans la région. En plus du fait qu’il s’agissait d’une preuve manifeste de solidarité internationale, la présence de ces contingents permettait d’intensifier qualitativement les mesures de riposte du Mali et de l’ONU contre la menace terroriste au Mali et dans le Sahel en général. Au plan stratégique et opérationnel la contribution des Etats désormais désengagés était grandement appréciée et avait permis d’avancer dans le processus de stabilisation. De même, le processus de redéploiement de l’Etat malien qui se faisait avec la Minusma risque désormais de connaitre un ralentissement à cause de l’absence d’un soutien technique et logistique. Au Nor...

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