« Une partie de l’élite politique souhaite l’abolition du système fédéral »
- Par Eldickson Agbortogo
- 25 août 2023 14:09
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Mariette Edimo Mboo, PH. D Chercheure / Enseignante permanente à l’Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC)
Comment expliquer que quelques mois après la crise du Tigré, le gouvernement éthiopien soit confronté à un nouveau conflit contre un autre Etat fédéral ?
Il est important de faire un bref rappel de la crise du Tigré. De fait, le conflit opposant l’Ethiopie au Tigré tire ses sources de la tentative du Front de Libération du peuple du Tigré (dirigeant de la région du Tigré) de faire sécession, tentative notamment motivée par le désaccord du FLPT avec la volonté du premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, de mettre fin au système politique ethno centré en vigueur. Ce conflit avait démarré en novembre 2020, lorsque le gouvernement éthiopien a accusé les Forces du FLPT d’avoir attaqué l’armée fédérale basée au Tigré et a décidé de lancer une offensive dans cette région. Cette volonté amène ce dernier à supprimer le Front démocratique révolutionnaire du Peuple éthiopien (FDRPE) qui dirige l’Ethiopie depuis 1994 et dont il est lui-même issu. Ce parti avait pour particularité d’être une coalition constituée d’une multitude de partis ethniques. Cette suppression se fait au profit de la création du parti de la prospérité (PP) qui est un parti centralisé ne représentant aucune ethnie. La suppression du FDRPE a également pour conséquence de réduire l’importance politique de l’ethnie tigréenne qui dominait politiquement l’Ethiopie depuis 1994. Cela amène le principal parti politique tigréen, le FLPT, à refuser son intégration politique au sein du parti de la prospérité d’Abiy Ahmed et de conduire à des élections séparées, jugées illégales par le pouvoir central. Cette dissidence aboutit donc à une brutale montée des tensions entre les autorités régionales du Tigré et le gouvernement fédéral. En novembre 2020, le gouvernement éthiopien accuse le Tigré d’avoir déclenché les hostilités en attaquant des bases de l’armée fédérale dans la région. Ce dernier dément et indique de s’être défendu face à des attaques menées par l’Ethiopie et l’Erythrée. Quoi qu’il en soit, le 4 novembre 2020, le gouvernement annonce une opération militaire contre les autorités du Tigré. Cette guerre civile fratricide durera deux ans et prendra fin avec un accord de cessez-le-feu signé à Pretoria. Malgré cet accord de paix, il faut dire que les causes du conflit demeurent. Ces causes sont : la question des nationalités, la forme que doit prendre l’Etat éthiopien, le partage des pouvoirs entre les régions et le pouvoir central. Ceci rend la question de plus en plus complexe, puisque la situation panoramique simplifiée du paysage politique éthiopien indique que dans ce pays, s’opposent les unionistes, les ethno fédéralistes et les fédéralistes. Chacun ayant une lecture différente de la constitution de 1994. Le premier ministre défend une lecture unioniste du système. Sa philosophie « Medemer », un mot amharique qui se traduit par « addition » ou « rassemblement ». Cette velléité d’unification a conduit à la création du parti de la prospérité que les élites du Tigré n’ont pas intégré. Une partie de l’élite politique, essentiellement Amhara, s’y rattache et souhaite abolir le système fédéral au profit d’un système unitaire. Cette lecture unitaire s’oppose à celle des ethno fédéralistes dont les Tigréens sont les initiateurs. Ils tiennent des discours nationalistes et prêchent pour une autonomie régionale forte, voire la sécession pour les plus radicaux. Enfin, les fédéralistes qui développent une vision d’un fédéralisme multinational qui soit respectueux de la diversité ethnique du pays. Aux facteurs identitaires et économiques, s’ajoutent des facteurs idéologiques. Dans ce cadre, chaque acteur conteste la légitimité de l’autre partie. C’est en raison de tous ces éléments qu’il n’est pas surprenant de voir que le gouvernement éthiopien soit à nouveau confronté à un nouveau conflit contre l’autre Etat fédéré.
Le peuple Amhara qui a soutenu le gouvernement contre le Tigré affirme que le gouvernement l’a trahi en ne soutenant pas ses revendications sur le Tigré occidental. Dans quelle mesure l’affirmation est-elle fondée ?
Pour mieux appréhender cette question, il faut comprendre que les Amharas ont longtemps formé le cœur de l’Ethiopie impériale. Les élites de cette ethnie ont été celles qui dirigeaient le pays. Davantage, la langue amharique appartient à la famille linguistique sémitique, comme l’hébreux et l’arabe. Elle est la langue officielle de l’Etat éthiopien. Bien qu’étant un groupe ethnique majoritaire en Ethiopie, les Amharas se sentent marginalisés. Il faut préciser que la relation à un certain moment entre l’Ethiopie et les Amhara était liée au soutien de ces derniers à l’Ethiopie face au Tigré ; en mobilisant des troupes pour aider le gouvernement éthiopien à contrecarrer les forces rivales tigréennes qui tentaient de le renverser. Aujourd’hui encore, Abiy Ahmed est confronté à une formidable remise en cause de son pouvoir par les milices connues sous le nom de FANO, mot amharique que l’on peut traduire par « combattants volontaires ». Cette expression a été popularisée dans les années 1930, lorsque les « combattants volontaires » ont rejoint l’armée de l’Empereur Haile Selassie pour combattre les envahisseurs italiens. Elle est encore utilisée aujourd’hui par les fermiers et les jeunes hommes qui ont formé des milices pour défendre le peuple Amhara dont l’avenir est, selon eux, menacé par le gouvernement et d’autres groupes ethniques. Les Amhara considèrent leur région comme le berceau historique de l’Ethiopie que l’Empereur Amhara Tewodros a contribué à unifier et à centraliser au XIXe siècle , et ont gardé un ascendant sur sa politique pendant une bonne partie du XXe siècle. Entre temps, la crise est si grave que de nombreuses personnes affirment que le gouvernement de l’Etat d’Amhara, contrôlé par le parti de la prospérité de M. ABIY, au pouvoir est sur le point de s’effondrer, les principaux responsables ayant fui vers la capitale fédérale. Cette violence remonte &...
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