« Un cas classique de difficile construction de la cohésion nationale »
- Par Sainclair MEZING
- 25 juin 2021 12:41
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Dr Ordy Betga, politologue, chercheur au Think Tank CEIDES, observatoire des pays de la CEEAC et du Nigéria.
Depuis le 04 novembre 2020, la région du Tigré en Ethiopie est le théâtre d’un conflit armé entre troupes gouvernementales et rebelles du Front pour la Libération du Peuple du Tigré (FLPT). Comment en est-on arrivé là ?
Le conflit qui éclate le 04 novembre 2020 entre le gouvernement éthiopien et la branche armée du FLPT n’est que la suite logique de l’exacerbation des tensions entre les deux entités depuis l’arrivée au pouvoir du Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed. Une brève évocation historique du contexte sociopolitique permet de mieux apprécier l’évolution de la crise au Tigré aujourd’hui. En effet, l’Ethiopie est une fédération établie sur des bases ethniques, chaque région jouissant d’une très forte autonomie. Depuis 1994, le FLPT occupait une place prépondérante dans la coalition au pouvoir menée par Meles Zenawi originaire du Tigré. Mais lorsque Abiy Ahmed, issu de l’ethnie Oromo, majoritaire, accède au pouvoir en avril 2018, il transforme l’ancienne coalition en Parti de la Prospérité qui se veut une structure unitaire indépendante des groupes ethniques. Le FLPT refuse d’intégrer cette coalition et bascule donc dans l’opposition. De nombreux responsables du FLPT sont évincés des institutions fédérales, et les ressources fédérales transférées aux autorités régionales du Tigré sont réduites. Ce qui intensifie les tensions avec le gouvernement fédéral. Le FLPT fustige cette marginalisation, mais c’est surtout le report des élections législatives de 2020 à 2021 officiellement en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19 qui va envenimer la situation quand le FLPT décide d’organiser ses propres élections en septembre 2020. Les deux camps s’accusent réciproquement d’illégitimité. Le gouvernement fédéral annonce alors la suspension de l’allocation budgétaire du Tigré. Ce que le FLPT assimile à un acte de guerre et décide d’attaquer deux bases militaires nationales dans la région du Tigré. En représailles, l’armée fédérale lance une offensive violente contre le Tigré.
Comment comprendre l’implication de l’Erythrée ?
L’Erythrée entre en scène après les tirs de roquettes vers sa capitale Asmara le 14 novembre 2020 par le FLPT qui l’accuse de soutenir le gouvernement fédéral dans les attaques contre le peuple tigréen. Cette alliance entre l’Ethiopie et l’Erythrée face à l’ennemi commun relève presque de l’oxymore quand on connait le passé tumultueux et belliqueux des relations entre ces Etats dont la normalisation, après deux décennies de guerre, n’a eu lieu qu’avec l’entrée en fonction d’Abiy Ahmed (ce qui lui a d’ailleurs valu le prix Nobel de la paix 2019). L’Erythrée voit en ce conflit l’occasion de se venger du FLPT qui était en première ligne dans sa guerre contre l’Ethiopie. L’armée érythréenne a pendant des mois nié son intervention au Tigré, pourtant accusée de crimes contre l’humanité dans la région. Le gouvernement éthiopien a finalement admis la présence des troupes érythréennes en affirmant toutefois en avril dernier l’imminence de leur retrait, mais des voix s’élèvent pour démentir l’effectivité de ce retrait. Elles seraient plus que jamais incrustées au Tigré. Ce qui pourrait replonger les deux pays dans une guerre territoriale, d’autant plus que rien ne garantit la solidité de la nouvelle alliance Ethiopie-Erythrée, ni que le gouvernement éthiopien contrôle entièrement la situation comme il le prétend, dans un conflit qui s’enlise depuis des mois et semble dans une impasse dangereuse qui pourrait durer plusieurs années.
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