Editorial : l’unité, les acquis, les périls

Le 50e anniversaire de l’Etat unitaire qui se célèbre demain est sans aucun doute l’occasion idoine de revisiter le sort de la cohésion nationale et du vivre-ensemble à la camerounaise. Cet exercice s’avère d’autant plus utile que partout dans le monde, les excès de la mondialisation ont provoqué une vague de revendications identitaires, de plus en plus violentes, voire sanglantes. Les gouvernements y font face comme ils peuvent. Et le Cameroun qui combat depuis 5 ans une sécession armée, ne fait pas exception. Voilà pourquoi il n’est pas subversif de poser la question aujourd’hui : « La révolution pacifique du 20 mai 1972 », et les diverses tentatives d’unification ont–elles porté la promesse des fleurs, aidé à l’avènement d’une communauté d’hommes et de femmes unis par un lien solide et un fort sentiment d’appartenance, par-delà les différences qui séparent nos traditions et notre vision du monde ? 
Si l’on en croit l’analyse de l’universitaire britannique, Tony Chafer, dans son ouvrage La fin de l’empire colonial français en Afrique de l’Ouest : entre utopie et désillusion, publié en 2019 aux Presses Universitaires de Rennes : « La décolonisation de l’Afrique, en apparence pacifique, a rimé avec balkanisation et maintien de ce qui représentait l’essentiel pour Paris : monnaie et présence militaire ». Vu sous cet angle, on peut comprendre, avec le recul, l’effort historique d’unité porté par les pères fondateurs de la nation camerounaise, ces visionnaires considérant comme une mission générationnelle le devoir de colmater les brèches et d’unir ce qui pouvait l’être pour bâtir une entité viable et harmonieuse. Quelle que soit l’idée qu’on se fait alors des avancées de ce défi unitaire, deux constats s’imposent.  
D’abord, la marche vers l’unité est un combat sans fin, une lutte quotidienne, une tension continue entre le repli identitaire, les réflexes tribaux, et la construction nationale. L’idéal unitaire doit donc être appréhendé comme une ligne ténue et invisible, fragile mais réelle, sur laquelle les circonstances, les dérives, les politiques inappropriées, les crises peuvent occasionner de tragiques reculades, comme de fulgurantes avancées.
Ensuite, comparé à d’autres pays africains, le Cameroun avait bien moins d’atouts au départ pour réaliser une telle unité. Si ‘on considère la double colonisation française et anglaise, qui avait doté notre pays au fil du temps, à travers l’éducation, les principes juridiques, le mode de commandement territorial, de deux legs historiques en apparence irréconciliables. Sans oublier la diversité humaine, climatique et géographique, les multiples religions établies, et les 250 langues et ethnies ! 
Ce dernier constat souligne à dessein la spécificité camerounaise et la difficulté évidente de bâtir en 50 ou 60 ans, un modèle de cohésion sociale. Et pourtant, ce modèle existe ! La nation camerounaise, est loin d’être un leurre. Ce qui constituait un handicap au départ, une histoire fragmentée, un patchwork humain et culturel, linguistique, est devenu le socle identitaire, la matrice du récit national. Désormais, les livres d’histoire raconteront aux jeunes générations et au monde comment des peuples séparés par la colonisation, mais se reconnaissant comme frères, et guidés par la volonté de reconstruire une maison commune, ont su créer un compromis à la camerounaise. Avec pour maître-mots : l’unité dans la diversité, le pluralisme et le multiculturalisme. Un modèle unique, irremplaçable, enviable et envié, mais qui demande à être consolidé. Ne serait-ce que parce que la crise du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est une douloureuse piqûre de rappel sur la nécessité de continuer à mettre en place sur ce terreau fragile des politiques innovantes qui assurent tout à la fois, l’équité, l’égalité des chances, la justice sociale, et une certaine autonomie. 
L’un des indicateurs les plus pertinents de cette unité nationale, c’est le comportement singulier des compatriotes anglophones lorsqu’ils sont mis en danger par les exactions terroristes : ils choisissent de fuir vers d’autres parties du Cameroun, leur pays, et non vers le Nigeria, en dehors de ceux installés à la frontière même. Que dire par ailleurs de ces actes quotidiens d’héroïsme, où les populations traquent les terroristes, leur donnent une raclée publique avant de les livrer aux forces de l’ordre ? C’est la preuve que dans cette terre du Cameroun déchirée, le désir de paix est plus fort et plus répandu que le désir de guerre, et que nos compatriotes, las du jeu de cache-cache avec les bandes armées, n’hésitent plus à prendre des risques pour leur vie et à contribuer en personne à la restauration de la paix. Y a-t-il alors meilleure preuve que celle-là de leur attachement au Cameroun ?
Le sort de cette guerre, il est vrai, ne dépend pas d’eux. Ceux qui l’ont déclenchée et ceux qui l’instrumentalisent, pensent en détenir les clés. Ils se trompent. Paul Biya en a fait une affaire d’honneur. Il garde les forces de défense et de sécurité en alerte, tout en restant ouvert au dialogue. Le peuple est vigilant, convaincu que le Cameroun est indivisible. L’irruption des populations dans ce schéma, leur exaspération, leur courage changent singulièrement la donne, rendant obsolètes et cruels, inhumains et anachroniques la propagande sécessionniste et le cynisme des pays « amis » qui hébergent certains d’entre eux. Afin de louer une telle audace, citons Ernest Sabato, romancier espagnol, dans son roman Alejandra, publié aux Editions du Seuil en 1967 : « Ce ne sont pas les idées qui changent le monde, ni l’intelligence, ni la raison, mais leur contraire radical, ces actes insensés, dépourvus de toute logique, cette persistance enragée des hommes à vouloir survivre, leur ardent désir de respirer tant que ce sera possible, leur petit héroïsme de tous les jours, tenace et ridicule, face au malheur ».
Et pourtant, l’unité, si essentielle fût-elle, est menacée. Les contre-exemples de la cohésion sociale ne manquent pas. Est-ce réellement surprenant ? A l’intérieur du pays, beaucoup d’acteurs politiques, m&eacu...

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