Interview : « il jouit d’une bonne connaissance des affaires publiques »

Dr Christian Pout, ministre plénipotentiaire, président du Think Tank CEIDES, Visiting Associate Professor– Directeur du séminaire de Géopolitique africaine, Catholic Institute of Paris.

William Ruto sera investi ce mardi 13 septembre 2022 comme 5e président depuis l’indépendance du Kenya en 1963. Quel commentaire vous inspire son élection alors que son adversaire et opposant historique, Raila Odinga bénéficiait pourtant du soutien du président sortant, Uhuru Kenyatta ?
La récente élection qui vient de porter William Ruto au pouvoir marque une évolution assez inattendue dans l’histoire politique et institutionnelle kenyane. Le candidat malheureux, Raila Odinga, figure emblématique de l’opposition au Kenya bénéficiait en effet du soutien de l’ancien président, Uruhu Kenyatta. Les deux protagonistes avaient su mettre fin à de vieilles querelles datant de l’indépendance, il y’a presque 60 ans, à l’époque où leurs pères respectifs officiaient à la tête du pays comme président et vice-président. La réconciliation en mars 2018 de Raila Odinga et Uruhu Kenyatta, baptisée « handshake » (la poignée de main), à la surprise générale, créa de profondes fissures au sein de l’alliance précédemment scellée entre Uruhu Kenyatta et son vice-président William Ruto.

La victoire de ce dernier prouve que rien n’est acquis et statique en politique. Son dynamisme et son programme politique ont su convaincre la nouvelle classe politique et une population obsédée par un désir de changement. Je note que contrairement aux échéances électorales passées, les dynamiques politico-ethniques n’ont pas eu la même influence décisive dans une configuration où étaient donnés favoris, les partisans du président Uruhu Kenyatta au centre du Kenya, en zone kikuyu, (17 % de la population), et ceux de Raila Odinga (Luo, 11 % de la population), regroupés sur le flanc sud-ouest du pays, contre ceux du vice-président, Ruto chez les Kalenjins de la vallée du Rift (13 % de la population). Même si on peut regretter les cas de violence sporadique, les intimidations sous fond de discours de haine et tribaux, force est de constater que l’élection kenyane a été très riche d’enseignements. A titre d’illustrations, le président Uruhu Kenyatta a respecté son engagement de ne pas modifier la Constitution pour se maintenir à la tête de l’Etat. Il a fait les deux mandats autorisés.

Tout au long du processus, les campagnes électorales n’ont pas donné lieu à une flambée de violence, même entre les groupes ethniques rivaux. Ces groupes semblent n’avoir pas été instrumentalisés pour alimenter la violence en cas de défaite d’un de leurs leaders. Après l’annonce des résultats, on n’a pas assisté à des contestations violentes dans la rue, chaque leader ayant invité ses partisans à la retenue et à privilégier la voie judiciaire. Les pratiques souvent décriées comme la coupure d’internet ou de l’électricité dans certaines zones durant les élections n’ont pas été signalées. Nonobstant ces bons points, je dois dire que certains indicateurs montrent qu’il y a encore des efforts à faire pour parfaire la démocratie au Kenya et améliorer la légitimité des dirigeants.

L’arrivée de William Ruto au pouvoir sonne comme une rupture avec le phénomène des dynasties politiques et intervient dans un contexte de divisions, de violences et de luttes des classes. Aura-t-il les coudées franches pour définitivement tourner la page ?
Vous faites bien de l’évoquer, le Kenya a effectivement été pendant longtemps marqué par les stigmates de la violence et de la polarisation de la société au point où sa stabilisé actuelle est encore perçue comme fragile. Je rappelle à toutes fins utiles que la crise post-électorale de 2007-2008 qui a fait plus de 1000 victimes et de milliers de personnes déplacées a été un épisode traumatisant à tel point que la Cour pénale internationale (CPI) avait qualifié les actes de violence perpétrés de crimes contre l’humanité, et engagée des poursuites contre le président Uruhu Kenyatta et Raila Odinga, avant de les abandonner respectivement en décembre 2014 et avril 2016. En 2017, l’annulation par la Cour suprême des élections et l’organisation de nouvelles, toujours remportées par Uhuru Kenyatta, a clairement laissé voir que la société kenyane était divisée et étouffait avec beaucoup de peine son malaise.

Ce n’est que grâce à son tact et aux compromis consentis que l’ancien président Kenyatta a pu contenir la grogne sociale et politique, et amené les autres leaders politiques avec comme figures de proue Raila Odinga et William Ruto à taire leurs différends pour préserver la paix, en lui permettant de gouverner. Compte tenu de son histoire, la politique au Kenya est dominée par l’influence des grandes familles, celles que vous évoquez ici comme appartenant à l’oligarchie à l’exemple des Kenyatta et des Odinga. Ces dernières malgré leur alliance de circonstance n’ont pas pu conserver le pouvoir entre leurs mains. La victoire a plutôt été remportée par William Ruto, le « self made man » surnommé « Chief Hustler », en référence à sa position de porte-étendard de la « Hustler Nation », entendez la nation de ceux qui se battent au jour le jour pour survivre, des débrouillards, à l’inverse des dynasties politiques et économiques qui bénéficient de tous les privilèges. Si ses origines modestes et sa posture de défenseur des pauvres a pu séduire les électeurs kenyans, et lui donner une stature d’homme du peuple, la vérité est que William Ruto, aujourd’hui âgé de 55 ans appartient lui-même à l’oligarchie politico-économique du pays. Il figure parmi les hommes politiques les plus fortunés. Par ailleurs, il fut pour la première fois élu au Parlement en 1997 et nommé ministre par l’ancien président Daniel Arap Moi à 36 ans.

C’est donc un ancien du sérail qui jouit d’une bonne connaissance des acteurs politiques, de la gouvernance des affaires publiques et de solides contacts au sein des milieux d’affaires. Ces atouts peuvent lui permettre d’implémenter un projet politique innovant dont l’impact pourrait profiter à tous les secteurs d’activité. Au-delà des aspects symboliques, puisque William Ruto est le premier membre de l'ethnie Kalenjin à être élu président depuis vingt ans, succédant à deux présidents de la communauté kikuyu, le programme politique proposé durant sa campagne aborde des questions cruciales pour les kenyans. Il s’agit par exemple du problème du chômage des jeunes et de la relance économique.

Néanmoins, au regard des clivages qui demeurent, il est indispensable pour le camp Ruto de nouer de solides alliances avec les regroupements politiques issus du duo Kenyatta-Odinga. Un gouvernement d’union nationale pourrait être envisagé. Le sort r&eacu...

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