Du chocolat, oui, des fèves de cacao, non !

Le lancement de la campagne cacaoyère 2022/2023 récemment à Yokadouma dans la région de l’Est est l’occasion de dénoncer, une fois de plus, ce qu’il y a de révoltant dans l’organisation injuste des échanges commerciaux internationaux.

Celle-ci confine essentiellement l’Afrique subsaharienne à un rôle de producteur de matières premières et d’importateur de produits manufacturés. Le fait de maintenir cette partie du monde dans une posture de comptoir colonial ne doit rien au hasard. Comme du temps de l’impérialisme et de la colonisation, le processus de contrôle et de domination mis en place par les anciennes puissances coloniales pour mieux capter les ressources et exploiter les autres populations ou territoires conquis se poursuit et atteint aujourd’hui les formes les plus sophistiquées. La structure actuelle du marché mondial du cacao et de l’industrie chocolatière apparaît ainsi comme l’une des manifestations les plus visibles de cette spécialisation « forcée » de l’Afrique subsaharienne dans une fonction de pourvoyeuse de matières premières pour les usines installées ailleurs.                                                                                                                      

Résultat des courses : les graines de cacao sont produites dans plusieurs zones tropicales surnommées « Ceinture du cacao », puis exportées, transformées et consommées majoritairement dans les pays qui dominent l’économie mondiale. Près de 40% de la récolte annuelle mondiale est moulue en Europe où il n’y a pourtant aucune cacaoyère. Rien qu'aux Pays-Bas, 600 000 tonnes de fèves - soit 13% de la récolte mondiale- sont moulues. Près de la moitié de la consommation mondiale de cacao, soit 45%, revient à l'Europe, suivie par les Amériques. Et là où le bât blesse, c’est que d’après l’Organisation internationale du cacao (ICCO), plusieurs pays africains dont la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigeria et le Cameroun fournissent près de 70 % de la production mondiale de cacao en fèves.

Mais, ils ne tirent que 3 % des revenus issus de la commercialisation du chocolat. L’autre visage de ce marché inique est lamentable. En effet, l’ICCO révèle encore que sur les 100 à 110 milliards de dollars générés par l’industrie chocolatière à travers la planète, les pays producteurs ne gagnent que 6 % de ce pactole et les paysans qui se tuent à la tâche sous le soleil et la pluie, ne reçoivent que la portion congrue (2 %). Dans les détails, malgré ses 2 millions de tonnes environ sur 4,7 millions produites dans le monde, toujours selon l’ICCO, le commerce des fèves n’a rapporté que près de 3,350 milliards de dollars lors de la campagne cacaoyère 2016-2017 à la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial. Alors que les compagnies chocolatières américaines généraient des ventes de l’ordre de 22 milliards de dollars la même année. Le Ghana, le Nigeria et le Cameroun n’échappent pas à ce système d’exploitation habilement monté.                                                                                                                                                

Bien plus, ce n’est pas pour rien que le centre de gravité du commerce mondial du cacao ne se trouve pas non plus dans les pays producteurs de fèves. Le siège de l’ICCO a beau avoir été transféré de Londres (où il a passé plus d’un demi-siècle) à Abidjan en Côte d’Ivoire, sur le marché boursier, loin des plantations, les transactions de fèves de cacao se présentent toujours sous forme de contrat à terme sur le London International Financial Futures and Options Exchanges (LIFFE), mais aussi sur d’autres plateformes comme le New York Mercantile Exchange (NYMEX) aux Etats-Unis. La fixation des prix ne tient ainsi pas compte des intérêts et de la souffrance des pauvres paysans. Les économistes vous expliqueront que ce sont des facteurs comme le cours du dollar, les conditions météorologiques des pays producteurs et le volume de la production qui sont parmi les indicateurs qu’il faut bien maîtriser pour spéculer le cours du cacao en bourse.

Des « hausses » conjoncturelles des prix d’achat du kilogramme souvent annoncées aux cacaoculteurs ne se résument en réalité qu’à quelques ajouts de centaines de francs. Ce qui ne change pas grand-chose à leur sort. La vérité étant que le marché du cacao est soumis aux fluctuations et aléas, entre hausses et baisses chaotiques générées par les instabilités politiques, les déficits de production liés aux conditions météorologiques, et la surproduction. Mais, à la fin, les plus mal rémunérés sont toujours les mêmes.                                                                                                                            

Fort heureusement, les pays africains ont déjà pris conscience de l’urgence de sortir de ce piège pour profiter eux aussi un jour de la mirobolante manne financière qu’offre la transformation du cacao en différents produits finis. Des engagements visant à rattraper leur retard ont ainsi été pris. Mais, les initiatives de transformation en cours sur le continent restent soit timides, soit insuffisantes. Il faut aller plus vite et plus loin. A ce jour, les pays africains gagnent...

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