Humanitaire : le CICR à l’épreuve de l’impartialité en situation de conflit
- Par Sainclair MEZING
- 08 mai 2023 11:08
- 0 Likes
Régulièrement accusé de parti pris entre belligérants dans différents théâtres d’opérations où il intervient, le Comité international de la Croix-Rouge (CIRCR) se veut plutôt rassurant quant à sa pertinence en tant qu’organisation humanitaire. Réfutant toutes ces allégations, il dit œuvrer en faveur de la préservation de la dignité humaine même en milieu de conflit et ceci dans le strict respect du mandat qui lui a été confié par les Etats ayant délibérément signé les Conventions de Genève. Comme de tradition depuis sa création en 1863, le Comité international de la Croix-Rouge célèbre ce lundi 8 mai 2023 son 160e anniversaire. Profitant de l’occasion de cette célébration, Stéphane Pierre Bonamy, chef de la délégation régionale du Comité international de la Croix-Rouge pour l’Afrique centrale, revient, dans une interview exclusive accordée à CT, sur la place centrale qu’occupe cette organisation en matière de conflit à travers le monde, réaffirme l’engagement de celle-ci à toujours œuvrer en qualité d’acteur humanitaire majeur, dresse le bilan de son action et fait le point sur le partenariat de cette structure avec le Cameroun.
Après 160 ans d’existence, trouvez-vous toujours pertinente et réaliste l’idée d’une organisation neutre, indépendante et impartiale alors que l’environnement politique et idéologique n’a jamais été autant polarisé ?
Déjà abonné ?
Identifiez-vous >
Vous avez raison : le monde d’aujourd’hui est plus que jamais polarisé. On ne peut que constater des tensions grandissantes, qui se traduisent à la fois par la résurgence de conflits internationaux comme en Ukraine, et par les difficultés de plus en plus grandes de la communauté internationale à trouver des points de convergence. Ces tensions touchent tous les pays et tous les acteurs : politiques, économiques, sociaux qui, de manière simplifiée, sont tous plus ou moins sous la pression de choisir un camp ou l’autre, un narratif ou l’autre, une vérité ou l’autre. Les organisations humanitaires ne sont pas exemptes de ces tensions. Nous ne vivons pas dans un monde parallèle. La question de savoir, dans un tel environnement, s’il y a encore une place pour une organisation neutre, indépendante et impartiale comme le CICR est donc une très bonne question. Mais permettez-moi d’abord de faire un détour vers cette réflexion. La pertinence du CICR ne peut être comprise sans la rattacher à un ensemble de règles qui visent à limiter la souffrance humaine lorsque ces mêmes Etats n’arrivent plus à s’entendre et ont recours à la force pour régler leurs différends.
On parle ici de règles basiques : ne pas tirer sur les populations civiles, ne pas les menacer, ne pas les priver de leurs moyens de subsistance, protéger les infrastructures essentielles à leur survie comme les hôpitaux, les centres de santé, les stations d’eau, les écoles. Ces règles, ce sont également celles qui protègent les personnes qui ne combattent plus : les prisonniers tombés à la merci de l’ennemi, les morts qui, comme les vivants ont droit à un traitement digne.
Bref, on parle de règles dont l’objectif est d’assurer un minimum d’humanité au sein même de ce que l’Homme peut produire de plus horrible à savoir la guerre, la destruction de l’autre. Ces règles que l’on connait communément sous l’appellation de Droit international humanitaire, Conventions de Genève ou Droit de la guerre, ne sont pas des principes comme je l’entends trop souvent. Ce sont des traités internationaux obligeant et liant tous les pays qui les ont signés et ratifiés. Et vous savez quoi ? Les Conventions de Genève, le Droit international humanitaire, sont les seuls instruments légaux du Droit international public que tous les pays du monde, sans exception et malgré leurs divergences politiques, idéologiques, religieuses, ont signé, ratifié et continuent aujourd’hui de soutenir unanimement. La pertinence du CICR est avant tout liée à l’universalité de ces règles, au consensus atemporel autour des obligations qu’elles créent pour ceux qui les ont signées. Le CICR a cela d’unique comme organisation internationale qu’il tire son mandat directement de la volonté commune des Etats signataires de ces Conventions de Genève de lui attribuer un rôle dans l’application de ces obligations. Les pays signataires des Conventions de Genève ont souhaité consciemment que le CICR puisse mettre en œuvre son mandat de manière indépendante, sans se mêler de politique, afin d’assurer une protection et une assistance impartiale pour les personnes vulnérables là où les parties en conflit n’arrivent plus ou ne veulent plus le faire. Il s’agit là d’un consensus remarquable entre les Etats d’avoir reconnu et confirmé à de multiples reprises que, malgré les affres de la guerre, il y a une humanité commune à préserver et que le caractère impartial, apolitique de l’action humanitaire est un critère central pour parvenir à cet objectif. La pertinence actuelle du CICR comme organisation neutre, indépendante et impartiale, dépend avant tout de la volonté des Etats à s’entendre, au milieu des horreurs de la guerre, sur leurs obligations à laisser mon organisation mettre en œuvre le mandat qu’eux-mêmes lui ont confié. C’est de cela d’abord et avant tout que dépend la pertinence du CICR.
Le conflit en Ukraine a démontré qu’être neutre peut aussi être considéré comme partisan par les parties. Est-ce là un tournant pour l’action humanitaire neutre ?
C’est une situation difficile effectivement. Je comprends que, pris dans les horreurs de la guerre, les personnes touchées au plus profond de leur âme, de leur chair, aient de la peine à comprendre qu’un pays ou une organisation prennent une posture de neutralité. Ce que disent les Conventions de Genève pourtant, c’est que la préservation de la dignité, même au milieu des hostilités, ne choisit pas un camp. C’est un bien commun à l’humanité. Cette dignité, elle est à préserver dans les prisons où les personnes capturées en raison d’un conflit, sont à la merci totale de leurs ennemis. Elle est à protéger au sein des communautés sur les lignes de front qui ont vu leur maison détruite, leur accès aux soins de santé compromis, les écoles brûlées, leurs récoltes pillées. Cette dignité, cette humanité commune, elle doit être rappelée auprès des acteurs armés qui tiennent au bout de leurs armes la décision de la préserver ou de l’ignorer.
La neutralité humanitaire n’est pas un objectif en soi derrière lequel le CICR se cache pour ne rien faire. Certains choisissent d’exprimer leur opinion, leur colère, leur bouleversement à travers les réseaux sociaux. Il faut de l’audace. Nos délégués vont s’exposer au plus près des combats, pour visiter les prisonniers de guerre, pour convaincre tous les acteurs armés de leurs obligations de préserver cette dignité commune. Il faut du courage. Il faut surtout créer les conditions de confiance pour accéder aux populations les plus vulnérables, pour visiter les prisons, pour engager les acteurs armés sur leurs responsabilités. C’est à cela que sert la neutralité humanitaire. A établir les conditions d’un espace de dialogue. C’est un moyen, pas une obligation éthique. Je l’ai expérimenté en Colombie, en Afghanistan, en Irak, en République démocratique du Congo, au Congo Brazzaville, au Moyen-Orient. Je le vis maintenant ici.
Alors oui, on pourra entendre ici ou là des critiques amplifiées par le buzz médiatique et les plateformes sociales par l’incompréhension d’une neutralité trop souvent perçue à la lumière des propres objectifs politiques de ceux qui la conspuent. Mais il ne faut pas se laisser distraire. Ce qui compte, c’est le travail de fond qui se fait loin des projecteurs pour créer un espace de dialogue, un travail difficile, mais essentiel. Et notre travail en Ukraine n’est pas différent d’ailleurs. Donc, non, ce n’est pas un tournant.
Il n’y a pas longtemps au Soudan du Sud, au Yémen et en RCA le CICR a facilité des échanges de prisonniers entre les parties. Pourquoi ne jouerait-il pas aussi la même partition pour faciliter des pourparlers entre belligérants ?
Au Yémen, au mois d’avril de cette année, le CICR a facilité l’échange entre les parties au conflit de plus de 900 prisonniers, en organisant leur rapatriement, en créant sur place l’environnement humanitaire pour que cet échange puisse avoir lieu. Nous avons mis à disposition des avions marqués de l’emblème protecteur de la Croix-Rouge, et avons organisé leur départ et leur arrivée. Nous nous sommes entretenus avec les prisonniers avant leur départ pour s’assurer de leur bonne santé, de leur volonté d’être libérés. Nous leur avons donné des habits, à manger. Mais surtout, nous leur avons redonné le sourire. Certains de ces prisonniers n’avaient pas vu, ni eu de nouvelles de leurs familles, depuis des années. La même chose s’est passée au Soudan du Sud et en République Centrafricaine en avril. Au Soudan du Sud, le CICR, à la demande des parties, a facilité le retour de 40 femmes et enfants dans leurs familles. En Centrafrique, c’est le retour à Bangui de 19 membres des forces armées centrafricaines tombés aux mains des rebelles que le CICR a facilité. Je pourrais multiplier ces exemples, parce que depuis sa création, et dans le cadre de son mandat, le CICR a toujours joué ce rôle d’intermédiaire neutre entre les belligérants. Il a pu le faire, et continue à pouvoir le faire, lorsqu’il a la confiance de tous les côtés dans un conflit. Cette confiance est basée essentiellement sur le caractère strictement humanitaire de son intervention. Un tel rôle demande de l’abnégation, exige de travailler loin des lumières médiatiques, de favoriser un dialogue confidentiel avec les parties. Un tel rôle exige de nos délégués qu’ils tracent dans le sable en permanence les lignes à ne pas franchir afin de préserver cette valeur ajoutée que le rôle d’intermédiaire neutre peut créer. Le CICR ne va jamais intervenir dans un dialogue politique entre les parties en conflit. Nous ne négocions pas la libération des prisonniers ou l’échange des dépouilles mortelles. Notre rôle d’intermédiation est strictement humanitaire et nous n’intervenons qu’une fois que les parties se sont entendues entre elles.
Au Cameroun, quelle est la nature du dialogue que le CICR entretient avec les différents protagonistes, notamment dans l’Extrême-Nord et dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et à quelles fins ?
Comme partout ailleurs dans le monde, dans les conflits et situations de violence armée, et sur la base du mandat qui lui a été confié, le CICR souhaite entretenir un dialogue avec tous les acteurs au Cameroun sur le respect de leurs obligations vis-à-vis des populations civiles, des prisonniers, des infrastructures civiles comme les centres de santé, ou encore les écoles.
Cet article complet est réservé aux abonnés
Accédez en illimité à Cameroon Tribune Digital à partir de 26250 FCFA
Je M'abonne
1 minute suffit pour vous abonner à Cameroon Tribune Digital !
Commentaires