« Le Conseil constitutionnel devrait trancher ce débat »

Dr Christian Pout, ministre plénipotentiaire, directeur du Séminaire de géopolitique africaine à l'Institut catholique de Paris.

Les récents actes de violence au Sénégal ont officiellement fait 16 morts et d’importants dégâts matériels. Qu’est-ce qui peut bien expliquer un tel déclenchement de tension dans un pays et présenté comme un modèle de démocratie en Afrique ?
Depuis 1960, le Sénégal est réputé être un îlot de stabilité politique dans une Afrique et sous-région régulièrement sous tension. Malgré quelques éphémères soubresauts, ce pays a toujours su démontrer de fort belle manière son attachement aux idéaux de démocratie et de respect de l’Etat de droit. Le respect dont il jouit auprès des chancelleries africaines et étrangères est en grande partie dû à sa forte inclinaison à s’efforcer de faire prévaloir avec une certaine originalité, la justice et l’intérêt supérieur de la Nation, au détriment des égoïsmes de quelques-uns. De plus, le peuple sénégalais est connu pour être très engagé avec une conscience politique peu commune en Afrique. Devant une telle maturité politique et d’action, il est normal que les derniers évènements puissent prêter à interrogation, même si des signes avant-coureurs étaient visibles. En effet, la détonation immédiate à l’origine des troubles et heurts qui ont éclaté les 1er et 2 juin est sans aucun doute la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko, arrivé troisième à la dernière élection présidentielle de 2019. L’historique des événements renseigne que c’est une plainte déposée par Adji Raby Sarr, employée dans un salon de massage, pour viols et menaces de mort courant décembre 2020 et février 2021, contre Ousmane Sonko, député à l’Assemblée nationale au moment des faits, qui est à l’origine de la condamnation de ce dernier par contumace et de Ndeye Khady Ndiaye, propriétaire du salon de massage (Sweet Beauty), à une peine de deux ans d’emprisonnement ferme pour, respectivement, « corruption de la jeunesse » et « incitation à la débauche ». C’est ce délibéré rendu le 1er juin, qui a donné lieu à des manifestations dans plusieurs rues de Dakar, mais aussi de Ziguinchor, de Kaolack et de Pout. Ousmane Sonko, ses partisans et d’autres leaders d’opposition ont dès le départ émis des réserves sur l’objectivité de toutes les procédures judiciaires intentées contre Sonko, en les considérant comme une stratégie d’instrumentalisation de l’appareil judiciaire en vue des joutes électorales présidentielles de février 2024. Cette violence, bien que subite, n’était pas aussi spontanée que l’affirment certains observateurs. Ses gènes ont été insufflés depuis quelque temps avec la dégradation continue des interactions entre les principales composantes de la société sénégalaise, ainsi que des conditions de vie des populations. La condamnation d’Ousmane Sonko n’a donc été qu’un catalyseur, même si, lui-même a souvent volontiers agi comme un amplificateur. Par ailleurs, les allusions au complot politique ont fini par se renforcer au sein de l’opinion au regard des similitudes observables dans la déchéance de plusieurs leaders politiques devenus inéligibles au scrutin de 2024 après des démêlés judiciaires, à l’instar de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, condamné en 2018 pour détournement de fonds, et de Karim Wade, le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, exilé au Qatar après avoir été jugé en 2015 pour enrichissement illicite. 

L’opposition est contre un troisième mandat de Macky Sall, alors que dans le camp du pouvoir, l’on affirme que sa candidature est bel et bien éligible en 2024. Finalement, qui des deux camps a raison ? 
La question de l’éligibilité de Macky Sall au pouvoir depuis 2012 est clairement le principal nœud gordien à défaire au milieu de tout cet imbroglio. Cependant, le sujet semble désormais plus questionner l’opportunité politique et la légitimité que la conformité juridique à une participation éventuelle à ladite élection. La question d’un troisième mandat fait effectivement l’objet de débats passionnés, et a tôt fait de quitter l’arène des constitutionnalistes pour se déporter dans le champ politique. Selon des révélations faites par le quotidien français le Figaro dans son édition du 20 mai 2023, l’exécutif sénégalais aurait consulté le publiciste et universitaire Guillaume Drago pour avoir un avis sur la « légalité » de la candidature du président Sall en 2024. Ce spécialiste aurait alors affirmé que la révision constitutionnelle de 2016 adoptée par voie référendaire qui raccourcit la durée du mandat de 7 ans à 5 ans, « a posé des principes nouveaux pour l’élection », ce qui de fait donne droit à la possibilité d’un troisième mandat. Cet avis est partagé par la constitutionnaliste Ndeye Seynabou Ndione qui affirme elle-aussi qu'une nouvelle candidature de Macky Sall est effectivement recevable. Cette dernière a rappelé fort à propos que le Conseil constitutionnel, qui est le juge de l'interprétation de la loi, était aussi le seul qui a la prérogative d'interpréter les dispositions de la constitution, et puisque ce Conseil avait décidé que le mandat de 7 ans était « hors de portée de la loi nouvelle », il était possible de considérer que le président de la République n’avait exercé qu’un quinquennat et qu’il lui restait un deuxième éventuellement. Il va sans dire que ces arguments emportent l’assentiment des membres de la coalition au pouvoir et d’autres soutiens. Quoique partisanes, les opinions de certains hauts responsables du gouvernement ne sont pas pour autant dénouées de logique juridique. Le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Ismaila Madior Fall, par ailleurs enseignant de droit, a ainsi pu souligner que bien que l’article 27 de la Constitution indique que « la durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs », il convenait d’admettre que « le premier mandat est celui allant de 2019 à 2024 », puisque que selon lui, la révision constitutionnelle de 2016 avait « effacé » la première élection de M. Sall en 2012. Les compteurs avaient donc été remis à zéro. 

Sur quoi se fondent les contestataires ? 
Comme on le constate, ces positions sont rejetées en bloc par les partis d’opposition, et par une partie de la société civile et de l’intelligentsia sénégalaise. La plupart de ces acteurs remettent en cause la bonne foi du président en s’appuyant sur son parcours et sur plusieurs de ses déclarations quant à sa volonté de ne pas faire plus de deux mandats. On se souvient qu’alors opposant, Macky Sall avait manifesté en janvier 2012 contre la candidature de son prédécesseur Abdoulaye Wade à un troisième mandat. Quelques années plus tard en 2019 avant l’élection présidentielle, Macky Sall avait clairement affirmé qu’il briguait son second et dernier mandat, et qu’il était dans la logique de ne pas dépasser deux mandats si le peuple sénégalais lui faisait confiance. L’opposition estime que la modification de la durée du mandat présidentiel ne remet pas en cause le fait qu’il achève bien un deuxième mandat, quelle que soit sa durée. Ce point de vue est défendu par Mouhamadou Ngouda Mboup, un enseignant en droit public à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCA...

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