« Macky Sall a préservé son poids politique »

Dr Serge Christian Alima Zoa, internationaliste, Centre de recherche et d’études politiques et stratégiques (CREPS) de l’Université de Yaoundé II-Soa.

Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2024, le Sénégal vit une période de tension depuis quelques mois. Comment comprendre cette situation ? 
Le Sénégal a longtemps été associé à son premier président, l'homme politique et poète Léopold Sédar Senghor, qui a dirigé le pays jusqu'à sa retraite politique volontaire le 31 décembre 1980. Malgré le durcissement de son régime en 1962, avec l'emprisonnement de son Premier ministre, Mamadou Dia, le Sénégal est apparu comme un laboratoire de la démocratie en Afrique, à partir de 1974, avec l'instauration d'un bipartisme. Mais il faudra attendre l'an 2000 pour parvenir à une première alternance démocratique, lorsque le socialiste Abdou Diouf cède le pouvoir par les urnes à Abdoulaye Wade. Depuis, le pays a connu une nouvelle alternance en 2012, avec l'élection pour un mandat de sept ans à la magistrature suprême de Macky Sall, ancien Premier ministre d'Abdoulaye Wade, ayant rompu avec son mentor pour créer son propre parti.  L’ensemble des joutes électorales du landerneau politique sénégalais s’est singulièrement cristallisé sur des débats de textes : si ce n’est pas le fichier électoral (2000, 2007), c’est la légitimité du parrainage (2019), mais surtout, de manière plus virulente en 2012 et dans la persperctive 2024, la conformité constitutionnelle de la candidature du président sortant. Du coup, dans la perspective de l’échéance électorale présidentielle du 24 février 2024, l’appareil gouvernant à Dakar est accusé, selon certains observateurs, de s’en prendre à ses opposants à travers une liturgie de disqualification non seulement en instrumentalisant la justice avec l’effet négatif d’anéantir la confiance des citoyens à l’égard des institutions, mais aussi en introduisant un système opaque des parrainages. 


Quel a été l’impact de ces faits que vous évoquez sur le jeu politique ?
Cela a conduit indubitablement à démanteler l’opposition classique en laissant un vide dans lequel s’est engouffrée une nouvelle opposition radicale se faisant le porte-parole d’une jeunesse exclue des dividendes d’une croissance, hélas soutenue par une dette excessive et des investissements dans les infrastructures ayant peu d’impact sur la création de richesses. En conséquence, à travers l’augmentation des prix des produits de première nécessité, les écarts de niveau de vie au profit de l’élite se sont creusés. La crise du Covid-19 n’a rien arrangé avec de nombreux secteurs, du tourisme à la pêche, en difficultés. Par ailleurs, les restrictions récurrentes de déplacements affectent une grande partie de la population active dans le secteur dit informel. Avec plus de 65% de la population ayant moins de 30 ans et dans laquelle beaucoup se considèrent déjà comme des naufragés de la République, le Sénégal est confronté à un potentiel de violence. Depuis quelques mois, la crise politique est exacerbée par une graveleuse bipolarité des protagonistes et est nimbée, comme le décrit un analyste africain, des effets de crétinisation de masse induits par les réseaux sociaux. L’actuel chef de l’Etat, réélu en 2019 pour cinq ans, a annoncé le 3 juillet 2023 qu’il ne serait pas candidat à sa réélection, après avoir entretenu le flou pendant des mois. En somme, les ressorts prégnants de la classe politique sénégalaise actuelle indiquent substantivement un débat public résolument piégé et une conquête du pouvoir placée au-dessus de tout.   


Ousmane Sonko a été arrêté et son parti dissous. L’opposant et ses partisans ont laissé entendre qu’ils ne vont pas abandonner le combat. A quoi doit-on s’attendre ? 
Parmi les faits qui lui sont reprochés, « appel à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’État, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste » et « complot contre l’autorité de l’État ». La justice le tient lui et son parti responsables de plus de quarante morts lors des manifestations qui se sont déroulées entre mars 2021 et juin 2023. C’est pourquoi le ministre de l’Intérieur, Antoine Felix Diome, a prononcé simultanément la dissolution des Patriotes africains du Sénégal pour l’éthique, le travail et la fraternité (PASTEF), crée en 2014. Dans son communiqué, il évoque ses appels « fréquents » à des « mouvements insurrectionnels » qui ont entraîné « des pertes en vies humaines », mais aussi des « actes de saccage et de pillage de biens publics et privés ». Il s’agit de la troisième procédure judiciaire dans laquelle l’opposant politique est mis en cause. Le 1er juin, il avait été condamné à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse » dans un procès pour viol et menace de mort, deux charges pour lesquelles il a été acquitté. Selon le procureur, Abdou Karim Diop, son inculpation du 31 juillet 2023 n’a « rien à voir » avec cette procédure. L’ancien député, arrivé troisième à la présidentielle de 2019 et candidat à celle de 2024, avait aussi été condamné le 8 mai à six mois de prison avec sursis à l’issue d’un procès en appel pour diffamation. 

Est-ce qu’au regard de la situation actuelle, M. Sonko n’est pas d’ores et déjà écarté de la présidentielle de 2024 ?
Tous ces démêlés avec la justice compromettent sérieusement la participation au scrutin de 2024 de cet inspecteur des impôts radié de la Fonction publique pour manquement au devoir de réserve. Depuis le début, Ousmane Sonko et ses partisans dénoncent un complot politique du président Macky Sall pour l’écarter du pouvoir. Adulé par les jeunes et porteur d’un programme « anti système » prônant notamment un rééquilibrage des rapports avec les pays européens dont la France, le syndicaliste originaire de la Casamance a annoncé sur les réseaux sociaux entamer une grève de la faim. Il a aussi appelé le peuple à « rester debout » et à « résister &raqu...

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