« Il convient de s’attaquer aux causes profondes, avec plus de détermination »
- Par Sainclair MEZING
- 28 sept. 2023 12:38
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Dr Christian Pout, ministre plénipotentiaire, président du Think Tank CEIDES, directeur du séminaire de Géopolitique africaine, Catholic Institute of Paris.
La mer se présente aujourd’hui comme un véritable danger au regard des milliers de vies des migrants qu’elle engloutit. Malgré cette triste réalité, comment comprendre que beaucoup s’y aventurent toujours pour rallier l’Europe ?
Le phénomène des migrations irrégulières qui occasionne depuis quelques années des morts par milliers en mer est un véritable désastre pour l’Afrique et l’humanité. Même s’il interpelle des responsabilités à titre individuel et collectif, il expose surtout les failles des politiques et stratégies arrêtées, parfois unilatéralement par certains décideurs, alors même que la complexité de ce type de migrations et leur caractère transnational exigent une étroite coopération et des concertations permanentes entre les acteurs africains et européens engagés dans la prévention et lutte contre les migrations irrégulières. Selon, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 24 000 personnes sont décédées aux frontières européennes et en Méditerranée depuis 2014. Les Africains d’origine magrébine et subsaharienne constituent le plus grand nombre de migrants disparus. J’observe que les motivations de ceux et celles qui s’engagent au péril de leur vie à la traversée sont multi-facteurs et qu’ils appartiennent également à toutes les couches sociales, contrairement à certains préjugés. En effet, les facteurs de migrations, définis comme un ensemble complexe de facteurs interdépendants qui influencent les décisions d’un individu, d’une famille ou d’un groupe de population en matière de migration, sont multiples et divers. Il existe par ailleurs dans les zones d’origine et de destination, des facteurs d’attraction et de répulsion. Parmi les facteurs qui entretiennent les migrations on énonce souvent, le recul des institutions démocratiques, les conflits armés, les persécutions politiques, les violations persistantes des droits fondamentaux, la discrimination à l’encontre des minorités ou sur des bases sexo-spécifiques, la violence, les changements environnementaux et climatiques soudains ou progressifs, etc. Des études menées par la Joint Research Center en 2018, démontrent que le facteur économique n’est pas la principale raison qui pousse les gens à migrer. On ne saurait donc dire que c’est l’unique moteur qui incite les africains. D’autres facteurs tels que le taux de fécondité, les réseaux et la distance jouent un rôle déterminant dans la décision des personnes de quitter leur pays pour un autre, malgré les risques encourus. Dans bien des cas également, les migrants sont attirés par les opportunités et les politiques d’inclusion sociale un peu mieux structurées en Europe. Il arrive aussi qu’ils tombent sur le coup des illusions d’un mieux-être ailleurs entretenu à grand renfort de propagande médiatique alors même que la réalité est parfois tout autre.
Pourquoi nonobstant les initiatives et autres accords mis sur pied pour dissuader les aventuriers et autres passeurs, le phénomène migratoire ne baisse pas à défaut d’être éradiqué totalement ?
Je tiens au préalable à signaler comme ont pu le mettre en évidence des données du Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA, 2023), que contrairement aux idées reçues, la plupart des migrations africaines se produisent à l’intérieur du continent puisque les migrants cherchent des emplois dans des centres économiques voisins. De plus, l’Afrique ne représente que 14 % des migrants du monde, comparé à 41 % venus d’Asie et 24 % d’Europe. En réalité, il y’a eu un infléchissement après 2015 des migrations irrégulières. Il s’est poursuivi avec l’apparition de la Covid-19. La tendance a également été ralentie grâce à l’amélioration des conditions de vie dans certains pays de départ ; à la signature des accords migratoires avec des Etats africains où les frontières sont les plus poreuses avec l’Europe comme en Tunisie ; à l’augmentation des fonds et moyens consacrés par l’UE à ses agences de garde-frontières et de garde-côtes ; au renforcement des mesures de lutte contre l’immigration clandestine, notamment par des mesures d’urgence en réaction à la croissance rapide des flux migratoires (lancement d’une opération maritime de lutte contre les passeurs, déploiement de hotspots aux points d’arrivée des migrants sur le territoire européen…). La résurgence de la crise migratoire actuelle semble donc être consécutive à l’instabilité mondiale, avec en prime le déclenchement de nouveaux conflits en Europe, la persistance des crises sécuritaires et l’apparition de crises sociopolitiques en Afrique, ainsi qu’à la dégradation continue de la gouvernance dans les pays frontaliers à l’Europe avec des impacts négatifs sur les populations. Vraisemblablement, les raisons de ce qui peut apparaître comme une incapacité manifeste à canaliser sur le long terme les migrations sont à rechercher dans plusieurs causes. Depuis 2015, l’UE et les pays africains ont élaboré des cadres communs de gestion des migrations et de la mobilité. Il s’agit entre autres, du plan d’action conjoint de La Valette, des processus de Khartoum et de Rabat, du cadre de partenariat pour les migrations adopté par l’UE pour les relations bilatérales avec les pays partenaires, du groupe de travail conjoint UA-UE-ONU. Il semblerait que les recommandations de ces cadres ne soient pas scrupuleusement mises en œuvre bien que jugées pertinentes officiellement. De même, des réformes longtemps annoncées tardent toujours à prendre forme, à l’exemple de la révision du système de Dublin. Par ailleurs, la coopération aux frontières communes entre les acteurs africains et agences européennes a souvent évolué dans un cadre politique et juridique flou, ce qui a permis aux réseaux de passeurs de jouer un rôle déterminant dans l’organisation des flux migratoires vers l’Europe. Ces derniers alimentent une économie des migrations qui produit entre 3 et 6 milliards d’euros par an. Il existe de forts soupçons d’instrumentalisation de la question migratoire par certains Etats africains. Désireux d’obtenir des fonds européens, ces derniers laisseraient s’aggraver le délitement social et économique pour pousser des personnes à se ruer vers les frontières européennes. Le durcissement des conditions d’immigration en Europe a aussi pour effet de pousser certaines populations à adopter des réflexes de contournement pour reprendre l’expression du Professeur Jean Bertrand Salla.
Que faut-il faire pour combattre efficacement ce fléau ?
Il convient, je pense de s'attaquer avec plus de détermination aux causes profondes de la migration irrégulière et des déplacements forcés. A cet effet, il serait approprié d’é...
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