« Le droit d’exister autrement passe par des sacrifices »
- Par Elise ZIEMINE NGOUMOU
- 03 oct. 2023 11:03
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Dr. Sylvestre Noa, enseignant, département de sociologie, Université de Yaoundé I.
Le Conseil national de la communication vient de demander la suspension de la chaîne Canal + Elles au Cameroun pour diffusion des programmes véhiculant des pratiques obscènes, à tendance homosexuelle et portant de ce fait atteinte aux lois et valeurs de la République. Quelle appréciation faites-vous de cette démarche ?
C’est une démarche qui s’inscrit dans l’ordre normal des choses. Car faire société signifie, d’une part, engagement de faire ; et d’autre part engagement de ne pas faire. En d’autres termes, la société est le résultat d’un contrat, d’une attente sur ce qui est permis et sur ce qui ne l’est pas. Ainsi, pour perdurer dans le temps, les sociétés travaillent à réprimer tout ce qui est contraire à leur consensus existentiel, c’est-à-dire à leur culture. Car, s’il y a plus de culture, il y a plus de société. De ce fait, toute nouvelle culture est un effacement d’une existence, mieux encore d’un ensemble de manière de faire, de sentir et d’agir. Les sociétés disparaissent donc non pas par un terrassement de leurs institutions matérielles, mais par le renversement de leur patrimoine immatériel (culture). En engageant les actions répressives contre Canal+, le CNC exprime là le désir ardent de la société camerounaise de perdurer, et son refus systématique de se faire absorber, ou alors de s’extravertir, avec pour conséquence la perte de l’identité pour devenir au final un non-être, si vous voulez, quelque chose qui n’existe plus.
Ces dérives ne s’observent pas dans d’autres parties du monde. Qu’est-ce qui explique que l’Afrique soit autant exposée à ce déferlement d’images inappropriées ?
En réalité, il faut comprendre que l’Afrique n’est jamais sortie du vieux cliché impérialiste de l’enfance du monde. Les « adultes » de la sphère occidentale doivent ainsi décider à son nom. Car qui mieux qu’un parent sait ce qui est bien pour son enfant, et ce qui ne l’est pas. Voilà comment l’Afrique est perçue par les autres : des gens à éduquer, à apprendre à marcher, à civiliser. Rudyard Kipling ne disait-il pas qu’elle était le fardeau de l’homme blanc ? Pour ce faire, il faut raser comme dirait Césaire, tout ce qui pue le nègre, en vue de laisser la place à la construction dans les esprits des nouvelles manières de faire, de sentir et d’agir. De ce fait, la résistance, l’opposition, la résilience africaines sont perçues comme des réactions obscurantistes qui s’opposent à la lumière. Car pour l’Empire, nous ne sommes que des barbares voués à la perdition si rien n’est fait. D’où le traitement qu’il impose, et qui dans son esprit n’est qu’une assistance à personne en danger. L’Empire peut donc se permettre ici chez nous, ce qu’ils n’oseraient pas ailleurs. Parce que là-bas, il verrait des challengers dont la riposte ne se ferait pas attendre au moindre écart. C’est pour cette raison que si l’on veut entrevoir un changement de regard sur nous et éviter ces méprises séculaires, il ne faut plus se contenter de se plaindre ou de gémir, mais de répliquer davantage ; si nécessaire par les moyens de la coercition à l’instar de cette mesure du CNC.
Maintenant que le régulateur des médias a pris cette décision contre Canal + Elles, un pays comme le nôtre a-t-il les moyens d’aller jusqu’au bout, par exemple se passer définitivement de l’offre de ce diffuseur ?
Une société qui joue sa survie est en fait intraitable face à toute sorte de menaces. Elle les affronte jusqu’à l’épuisement de ses ultimes ressources. L’importance que Canal+ a prise dans les habitudes locales est réelle et indéniable. Mais il y a bien eu un avant Canal+ dans ce pays. On oublie qu’il y a à peine deux décennies, l’audience cathodique était quasiment réduite à la CRTV. Le monde ne s’est pour autant pas, effondré. En fait, il faut bien comprendre que le droit d’exister autrement passe par des sacrifices, des efforts, et à se résoudre à l’idée de voler de ses propres ailes. On n’aura aucun respect des autres en cultivant ce reflexe pathologique à l’assistance. Car, s’opposer à des modèles culturels qui visent à l’efficacement, c’est en quelque sorte affirmer son indépendance, son auto-détermination, qui suppose en dernier ressort la capacité à prendre soin de soi-même. Être grand consiste à ne pas espérer des autres, mais de soi-même. Par ailleurs, il faut se préparer à l’idée d’affronter les représailles de ceux qu’on éconduit chez nous à cause de leur égarement. Il faut être conscient de cette réalité pour pouvoir aller jusqu’au bout. Sans cette détermination, on pourra facilement céder aux chantages, aux intimidations, aux menaces qui sont généralement les représailles dans ce type de circonstances. Sans cette détermination, des mesures comme celles du CNC passeraient simplement pour de la gesticulation, qui amène très vite à se rétracter à la moindre brimade, en renforçant malheureusement au passage le préjugé de l’enfance du monde.
Que peut concrètement f...
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