Fuite de cerveaux : cette saignée qui nous vide

« Les grandes douleurs sont muettes ». Celle que nous inflige la perte de nos précieux talents qui s’envolent vers d’autres cieux, est bien affligeante. Chaque jour en effet, des étoiles camerounaises, dans de nombreux domaines, s’en vont illuminer d’autres pays, à notre détriment. L’un des cas les plus retentissants qui a remué cette plaie ouverte, est celui de l’emblématique joueur de basket-ball, Joël Hans Embiid. Né à Yaoundé le 16 mars 1994, ce pivot hors pair détient depuis mai et septembre 2022, les nationalités française et américaine, respectivement. Premier joueur camerounais et français à être élu meilleur jouer (MVP) de la saison NBA 2022-2023, Embiid a finalement fait la passe décisive aux Etats-Unis. Il y a quelques jours, il a annoncé sa décision de jouer pour l’équipe nationale américaine aux Jeux olympiques de 2024 à Paris. Une nouvelle peu réconfortante pour la France, première nation qui l’a accueilli et lui a offert la naturalisation. La décision prise par ce « compatriote », fils du Cameroun a certainement eu un impact positif sur l’image de marque du Cameroun. A l’évocation du nom de Joël Embiid en effet, l’on rend hommage de fait à la grande nation incubatrice de talents qu’est le Cameroun. Mais, avouons-le, c’était avec un pincement au cœur. Car, beaucoup auraient espéré revivre en Embiid la trajectoire d’un Manu Dibango, d’illustre mémoire, qui était jaloux de son passeport vert-rouge-jaune, et qui défendait les couleurs nationales à tous les niveaux. Pour nombre d’analystes, « le choix d’Embiid était légitime et la déception des Camerounais, l’est tout autant ». Pour l’ensemble du continent africain, cette décision, a estimé Liz Mills, première femme à diriger une équipe masculine de la Fédération internationale de basket-ball, « est une occasion manquée ». 
Le cas évoqué ci-haut a remis au goût du jour ce mal : la fuite ou l’exode des cerveaux.  L’on estime à plus de six millions, les membres de la diaspora camerounaise. En majorité hautement qualifiés, peu mettent leurs connaissances au profit de leur pays d’origine. Selon l’Unesco en 2008, plus de 30 000 Africains titulaires d’un diplôme de 3e cycle universitaire vivraient hors du continent et 25 000 boursiers venus faire leurs études dans l’Union européenne n’ont pas regagné leur pays. Les Camerounais y sont représentés en nombre important, et surtout avec un cursus respectable et à de hauts niveaux de responsabilités au sein des instances internationales. Cette hémorragie des ressources humaines interpelle politiques et scientifiques dans un environnement international de mobilité des cerveaux et d’émergence de la société de la connaissance. Dans son ouvrage Exode des cerveaux en Afrique : réalités et déconstruction du discours sur un phénomène social, Daouda Maingari nous situe d’abord sur la différence technique entre la fuite des cerveaux et l’exode des cerveaux. Le premier concept désigne « la soustraction discrète de quelques intellectuels d’un environnement professionnel où leur présence profite à ceux qui les courtisent ». Quant au deuxième, il renvoie au départ massif des cadres vers des pays où, sans être invités ni vivement recherchés, ils espèrent un mieux-être. Mais qu’il s’agisse de l’un ou l’autre cas, les causes sont parfois similaires. Parmi celles-ci figurent, sans ordre de priorité, les conditions de travail, les crises économiques et les conditions salariales, les caractéristiques des recherches, la disparité entre l’offre et la demande de travailleurs qualifiés face à l’expansion de l’enseignement supérieur par rapport aux économies des pays africains et à l’environnement politique, etc.
S’il est légitime de rechercher le mieux-être, il est aussi indiqué d’être utile à sa mère patrie. Les compétences avérées de compatriotes doivent être bénéfiques au pays, en dépit des contingences somme toute surmontables. Il est temps de surmonter le mythe de l’exode prometteur qui alimente toujours le désir du voyage chez les diplômés. Ces derniers, à défaut de servir après leurs études le monde qui les a vus naître, se retrouvent, instinct de survie oblige, comme travailleurs dans un autre pays. Dans certains cas, en terre étrangère, ils doivent souvent exercer des activités éloignées de leurs qualifications. Situation qui n’est bénéfique ni à l’image sociale du migrant, ni à son pays qui a payé sa formation, ni au pays d’accueil qui ne l’utilise pas au mieux de ses capacités. C’est ce que l’économiste camerounais, le Pr. Tsafack Nanfosso appelle « gaspillage des cerveaux ». Car, Si le départ à l’étranger permet à quelques cadres de réaliser leur rêve social et professionnel, pour la majorité d’entre eux, souvent plus demandeuse qu’invitée, l’aventure se transforme en amertume. Contraints de troquer leur matière grise, voire leur &eacu...

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