« Pour la réconciliation, chacun doit donner du sien »

Pr. Daniel Abwa, historien et doyen de la Faculté des sciences sociales et des relations internationales de l’Université protestante d’Afrique centrale de Yaoundé.

Un processus de réconciliation est en cours au Zimbabwe à l’effet de réparer les massacres dits de « Gukurahundi » qui ont vu 20 000 civils périr dans les années 80. Que s’est-il réellement passé à cette époque ? 
Pour mieux comprendre ces massacres de « Gukurahundi », expression dérivé d'un terme shona qui se traduit par la pluie précoce qui lave l'ivraie avant les pluies printanières (en anglais « cleansing rain »), il est bon d'avoir à l'esprit quelques éléments de l'histoire du Zimbabwe.   Avec l'arrivée des Européens dans cette partie de l'Afrique australe, ce territoire devint Rhodésie du Sud, du nom de Cecil Rhodes, un Britannique qui, en 1890 prit possession des droits miniers du ri Ndébélé Lobengula dans le cadre de sa société British South Africa Company. Ainsi, commence l'établissement d’une colonie de peuplement blanche qui instaura la dictature d'une minorité blanche sur la majorité de deux ethnies noires composées principalement de Shona et de Ndébélé. La ségrégation raciale s'impose donc en Rhodésie du Sud lorsque le parlement britannique se donne le droit d'en faire une colonie de la couronne et y impose l'apartheid avec une loi de répartition des terres dont les 3/4 sont réservés à la minorité blanche et le 1/4 au secteur noir. Les Noirs de la Rhodésie du Sud qui n'avaient pratiquement aucun droit sur leurs terres engagent donc des pourparlers avec le gouvernement britannique à travers ses deux principaux leaders, Joshua Nkomo, président du parti ZAPU (Zimbabwe African People's Union), et Robert Mugabe, président de la ZANU (Zimbabwe African National Union). Les deux leaders réclamaient l'égalité raciale, le droit de vote et l'indépendance du pays dont le nom serait Zimbabwe en souvenir des ruines anciennes du « Grand Zimbabwe ». La minorité blanche réagit elle aussi en créant son parti politique dénommé Front rhodésien (Rhodesian Front - RF). 

La quête de l'indépendance n’aura pas été un long fleuve tranquille…
Elle s’est déroulée en trois phases : en 1965, les colons rhodésiens déclarèrent unilatéralement l'indépendance de la Rhodésie qui fut refusée par le gouvernement britannique. En 1970, ce fut la deuxième proclamation de l'indépendance de la Rhodésie acceptée cette fois-ci par le gouvernement britannique qui lui imposa un régime parlementaire. Cette phase est rejetée par les nationalistes noirs, dont certains étaient des radicaux prônant une guerre de libération, et d'autres des modérés acceptant de négocier avec les Rhodésiens blancs. La victoire des modérés eut lieu en 1979 avec les élections multiraciales au cours desquelles le parti d'Abel Muzorewa remporta 51 des sièges alors que le Front rhodésien obtenait les 28 sièges réservés aux Blancs. Cette victoire de Muzorewa, le tout premier Premier ministre noir, permit la transformation du nom de la Rhodésie du Sud entre 1965 et 1979 en Zimbabwe-Rhodésie en juin 1979. Malgré cette avancée, l'indépendance avec égalité des races n'est toujours pas acquise car les négociations qui s'ouvrirent à nouveau au Royaume-Uni entre le gouvernement britannique, le gouvernement du Muzorewa et les mouvements de libération (ZANU, ZAPU, et autres) restèrent toujours bloquées alors que la guerre de libération commencée depuis 1969 et appelée guerre du Bush (menée par les deux partis nationalistes contre le gouvernement essentiellement blanc de la Rhodésie du Sud) continuait de semer des victimes qui se chiffrent déjà entre 19500 chez les Noirs (guérilleros et civils confondus) et 9500 chez les Blancs et forces de sécurité. Néanmoins, le 21 décembre 1979, les négociations de Lancaster House qui préconisaient une redistribution pacifique des terres avec indemnisation conséquente permirent une évolution certaine avec l'entrée en vigueur d'un cessez-le-feu et la proclamation d'une amnistie générale pour les actes commis en Rhodésie du Sud entre 1965 et 1979. L'indépendance réelle se profilait à l'horizon et elle se réalisa lors des élections du 27 au 29 février qui virent la victoire du parti de Robert Mugabe, le ZANU avec 62,9 % des suffrages, soit 57 sièges, contre 25% pour le ZAPU de Joshua Nkomo, soit 20 sièges, et 8% pour l'UANC d'Abel Muzorewa, le reste pour le Front rhodésien. Le 4 mars 1980, Robert Mugabe est désigné Premier ministre du Zimbabwe, poste qu'il occupe, sans discontinuité de 1980 à 2017. C'est sous Mugabe qu'ont lieu les massacres du Gukurahundi entre 1982 et 1987.

En revenant sur cet épisode sombre, quatre décennies plus tard, le gouvernement zimbabwéen ne risque-t-il pas de remuer le couteau dans la plaie ? 
L’opération Gukurahundi encore appelée massacres Gukurahundi commence en fin 1982-début 1983. Il s'agit d'une série de massacres perpétuées par la 5e brigade de l'armée du Zimbabwe formée par la Corée du Nord dans le but de réprimer, dans le Matabeleland septentrional, les dissidents au pouvoir de Mugabe et qui s'attaquaient aux populations ...

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