« Les frontières constituent un enjeu crucial »

Dr. Serge Christian Alima Zoa, internationaliste, Centre de recherche et d’études politiques et stratégiques (CREPS) de l’Université de Yaoundé II-Soa, Université catholique d’Afrique centrale.

L’Afrique est devenue un véritable terreau de conflits entre Etats. Qu’est-ce qui peut l’expliquer ?  
Il faut d’emblée préciser que la frontière s’enracine dans l’histoire et se confond avec les origines du droit international. Elle apparait désormais comme l’instrument de la séparation de deux souverainetés et comme un élément déterminant de la strato genèse qui conditionne la réalisation du titre territorial. En délimitant les souverainetés de façon rigide, les frontières africaines sont devenues belligènes. L’histoire coloniale a laissé un héritage de plusieurs frontières nationales imprécises et controversées après l’indépendance des Etats africains. La mauvaise gestion des zones transfrontalières a contribué à la survenance d’une liturgie de conflictualités graves, et ce d’autant plus que l’emplacement des ressources naturelles stratégiques suscitant diverses convoitises, pose des défis supplémentaires. Après un demi-siècle de pratiques de statu quo territorial et d’exercices de pouvoir au sein du cadre étatique dit national, il est permis d’avancer selon plusieurs observateurs que le bilan de la mission de stabilisation socio politique et de consolidation des assises territoriales, reposant sur le principe de l’intangibilité des frontières, arrêté à la première session de l’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernements africains du Caire en Egypte du 21 juillet 1964 et connu sous le nom d’uti posidetis juris, reste mitigé. 


Qu’est-ce qui peut expliquer qu’aujourd’hui, l’Afrique soit l’endroit au monde où l’on dénombre le plus d’affaires contentieuses en matière de délimitation territoriale ? 
Les enjeux économiques et politiques liés à l’appropriation de certaines ressources suscitent les revendications de certains Etats riverains sur des espaces riches en ressources naturelles halieutiques, minéralières ou encore en hydrocarbures et autres métaux et gaz, ou comportant une dimension économique valorisable. Depuis plus d’une quarantaine d’années, 57% des cas de contentieux territoriaux portés devant la Cour internationale de justice (CIJ) dans le monde entier concernent l’Afrique. Ces conflits frontaliers entre Etats sont nimbés non seulement d’immenses souffrances humaines, mais aussi des pertes économiques considérables et autres tensions diplomatiques. Les relations entre la Guinée équatoriale et le Gabon en l’occurrence sont brouillées par un différend portant sur la souveraineté des ilots de Conga, Cocotier et de Mbanié que le Gabon occupe depuis 1972 et dont l’origine remonte à l’époque coloniale. Au demeurant, la question des frontières constitue un enjeu crucial pour les perspectives de stabilité en Afrique. Pour certains analystes, si l’Afrique n’entreprend pas de changement pour surmonter les défis liés à ses frontières, elle risque de voir se déclencher encore d’autres conflits et perdre des possibilités de paix sociale, en diminuant les recettes, en augmentant les dépenses de défense et en détournant les fonds des initiatives sociales et des programmes de développement.


Comment éteindre de manière durable les différents foyers de tension et prévenir d’autres à l’avenir ? 
Dans l’un de ses derniers rapports, la Banque africaine de développement décrit les conflits armés comme étant « le facteur le plus déterminant de la pauvreté et de la misère humaine en Afrique ». C’est pourquoi les Etats africains sont tenus  de rechercher, sans acrimonie, une solution pacifique à leurs différends en vertu du droit international, comme d’ailleurs recommandé par la CIJ. En cela, le recours à des juridictions internationales est de nature à mieux connaitre ceux frontaliers. Mais, le choix de la méthode la plus appropriée dépendra des facteurs spécifiques propres à chaque cas d’espèce. Cependant, dans la majorité des cas, la négociation peut être privilégiée car facile à organiser, peu coûteuse et permet aux Etats de conclure un accord qui leur sied mutuellement. En cas d’échec, l’assistance d’un tiers par voie de médiation est à la disposition des Etats.  Pour autant, au cours des six premiers mois de 2021, près de 60% des victimes d’incidents violents sont recensées à moins de 100 kilomètres d’une frontière terrestre dont près de la moitié implique des civils, selon le Programme frontière de l’Union africaine (PFUA). Le nombre d’évènements violents frontaliers et leur proportion sont en augmentation principalement en raison de la dégradation de la situation sécuritaire. Lorsque les frontières sont poreuses, l’autorité de l’Etat peut y être inégale, favorisant ainsi le développement de sanctuaires pour les groupes violents ou les poussant à se redéployer hors du pays. La gouvernance des régions frontalières conjugue donc un maelstrom de pratiques informelles et formelles avec des formes alternatives de coopération, d’échange, de résilience  et de régulation de l’Etat. Au-delà de simples lignes de démarcation, les frontières se posent comme des concepts spatiaux et socioéconomiques plus complexes, qui facilitent ou empêchent les échanges transfrontaliers. Les acteurs étatiques et non étatiques y sont impliqués dans des réseaux complexes d’alliances et de tensions qui contribuent à façonner des dynamiques de v...

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