« L’Afrique doit plus s’impliquer dans la bonne gouvernance »

Dr. Christian Pout, ministre plénipotentiaire, président Think Tank CEIDES et directeur du Séminaire de géopolitique africaine à l'Institut catholique de Paris.

Après deux mandats à la tête de la Commission de l’Union africaine, quel bilan Moussa Faki Mahamat laisse-t-il ? 
Le président Moussa Faki Mahamat restera dans les annales comme un dirigeant qui aura permis d’opérer des avancées majeures et décisives pour le développement de l’Afrique. Pour apprécier les principaux acquis et défis de ses mandats avec un minimum de recul, il convient de se situer par rapport aux huit points prioritaires qu’il avait énoncé comme devant servir de socle à son action ces dernières années. Ces priorités consistaient notamment, à parachever la réforme institutionnelle et à renforcer le leadership de la Commission ; à renforcer la responsabilité redditionnelle en matière administrative et financière ; à « Faire taire les armes » à l’échelle du Continent ; à conduire à bon port certains projets intégrateurs ; à faire reculer la pauvreté, se battre pour l’autosuffisance alimentaire, la résilience, à travers un nouvel essor de l’agriculture et de l’économie bleue, la protection de l’environnement ; à opérationnaliser les politiques en faveur des jeunes et des femmes ; à impulser la pensée africaine sur les déterminants patents des crises ; et enfin à ressourcer les partenariats stratégiques. Force a été d’observer qu’en cours de parcours, l’exécution de son plan d’action a été confrontée à des contraintes non négligeables à l’instar de la pandémie de la Covid-19, la diminution des ressources affectées au développement, l’apparition et l’enlisement de plusieurs crises sécuritaires et socio-politiques en Afrique, l’augmentation des crises globales, la remise en cause du multilatéralisme etc. Nonobstant ces contraintes, les notes positives à mettre à l’actif du président Moussa Faki Mahamat touchent toutes les dimensions de l’UA. Sans prétendre aucunement à l’exhaustivité, je retiens quelques faits marquants. Sur le plan de la gouvernance interne, la réforme institutionnelle décidée en janvier 2017 et placée sous le lead du Président rwandais Paul Kagamé, a permis une profonde restructuration de la Commission et de ses process, l’avènement d’un Sommet de coordination unique en lieu et place de deux sommets par an, de même que le rééquilibrage des tâches entre la Commission et les Communautés économiques régionales (CER), ainsi que le financement de l’organisation et la mise en œuvre des réformes budgétaires. Il a aussi été acté la mise en place d’un Conseil consultatif de la jeunesse et la nomination en novembre 2018 d’une envoyée spéciale pour la jeunesse. Au plan sécuritaire, la poursuite de l’initiative « Faire taire les armes » a contribué à mobiliser et à obtenir l’engagement de divers acteurs afin de trouver des solutions communes à l’un des principaux freins au développement. Notons en marge de cette initiative une volonté manifeste d’infléchir la courbe du terrorisme et de l’extrémisme violent dans les principales zones rouges. D’ailleurs, l’UA a joué un rôle actif dans la résolution de nombreuses crises en Somalie, au Soudan, au Soudan du Sud, en République centrafricaine etc, voire hors des frontières africaines en prenant position et en proposant des solutions pour la résolution des conflits russo-ukrainien et entre Israël et la Palestine. Fait inédit, l’UA a officiellement adopté une résolution au Sommet de Nouakchott relative au conflit du Sahara Occidental. Par cet acte, l’UA se décidait à être aux côtés des Nations unies pour trouver une solution durable à ce conflit.


Quid des autres domaines comme la sécurité et l’économie ?
Au plan économique et commercial, je dirai que l’un des plus importants aboutissements de l’UA a été le lancement de la Zone de libre échange continentale africaine (ZLECAF) en juin 2019 à Niamey au Niger, et la nomination de son secrétaire général installé à Accra au Ghana depuis août 2020. Ce pas de géant dans la consolidation des dynamiques intégrationnistes de l’Afrique a été complété d’une part par, l’adoption en Janvier 2018 du Protocole relatif à la libre circulation des personnes, au droit de résidence et au droit d’établissement, ainsi que l’instauration d’un passeport panafricain en février 2019, et d’autre part, par le lancement en Janvier 2018 du Marché unique de transport aérien africain (MUTAA), initiative dénommée « ciel ouvert de l’Afrique ». Un bon emboitement et une appropriation effective au niveau national de ces instruments devraient permettre à moyen et long terme d’accélérer l’intégration économique et des peuples en Afrique telle que souhaitée par les pères fondateurs de l’UA.
Pour être complet dans notre revue, il convient de souligner que le leadership du Président Moussa Faki Mahamat a également été déterminant en matière de politique et coopération internationale. Dans ce domaine, à côté du resserrement des liens dans le cadre de partenariats stratégiques entretenus grâce aux plateformes multilatérales (BRICS+, FOCAC, TICAD, UA-UE…) ou de la rénovation des accords de coopération avec la France, les Etats unis, la Grande Bretagne, la Russie, l’Allemagne, l’Inde, la Turquie et certains pays du Golfe, l’UA a su mener un plaidoyer et harmoniser ses positions pour atteindre des résultats dans l’intérêt du continent. Je peux à ce titre affirmer que l’élection de notre compatriote, S.E.M Philémon Yang au prestigieux poste de président de l’Assemblée générale des Nations unies, a bénéficié de tout le soutien de l’UA et de ses membres. Bien avant cela l’UA avait obtenu une place au G20 en devenant membre permanent. Cette adhésion puisqu’une simple formalité traduisait la détermination de l’UA à faire entendre sa voix dans le vaste chantier de la réforme de la gouvernance économique et financière mondiale pour laquelle elle s’est d’ores et déjà positionnée. 
Bien que ces faits d’armes soient élogieux, il demeure que de nombreuses contreperformances aux conséquences désastreuses subsistent. Ces dernières années, l’Afrique a enregistré plusieurs coups d’État, renouant ainsi avec les vieux démons de l’instabilité politique et de la dictature. Parmi les dossiers sensibles qui n’ont toujours pas trouvé de solutions pérennes, figurent l’exercice du pouvoir politique dans certains pays par des autorités coupables d’actes anticonstitutionnelles, les guerres au Soudan et en Libye, les violences au Mozambique, à la frontière de la République démocratique du Congo (RDC) et du Rwanda, le retrait de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) du Burkina Faso, du Mali et du Niger, etc.
Ces préoccupations qui permettent de remettre en cause l’efficacité de certains organes de l’UA dans la résolution des crises politiques et sécuritaires, voire même de ses mécanismes de sanctions, donnent surtout à réfléchir sur la nécessité pour l’UA d’adopter une posture préventive plus ambitieuse plutôt que réactive.
En outre, l’une des principales causes des lacunes observées reste le fait d’une insuffisante autonomie financière de l’organisation dont les financements dépendent encore à un niveau critique des contributions des partenaires étrangères, alors même qu’un axe essentiel de la réforme institutionnelle de l’UA visait à pallier à ce handicap. 


Quatre personnalités sont en lice pour lui succéder. Quels critères pourraient être déterminants le moment venu ? 
En vertu du principe de rotation consacré au sein de l’UA, le scrutin prévu en février 2025 pour le poste de Président de la commission de l’UA a la particularité d’être exclusivement réservé à un représentant de l’Afrique de l’Est. C’est à ce titre qu’on observe un important déploiement des candidats ressortissants de cette région et venus précisément de Djibouti, du Kenya, de Madagascar et de l'île Maurice. Il est intéressant de noter que contrairement aux a priori, tout n’est pas joué d’avance, dans la mesure où chaque candidat peut faire valoir des atouts susceptibles de faire pencher la balance en sa faveur. Pour autant, il apparaît réaliste de considérer qu’au regard de différents éléments comme le profil des candidats, la pertinence de leur vision, le poids de leur Etat au sein de l’UA, l’implication de leur Etat dans la campagne, la mobilisation de certaines ressources, des candidats se démarquent plus que d’autres. En effet, contrairement à ses concurrents, le Kenyan Raila Odinga a l’avantage d’avoir une très longue expérience politique qui date des années 1980. Il a été Premier ministre et maintes fois candidats aux élections présidentielles kényanes. Il est crédité d’influents soutiens aussi bien dans la sous-région qu’auprès d’autres hauts responsables politiques africains. Toutefois, le fait qu’il soit considéré comme un vétéran politique et qu’il semble encore décidé à être au-devant de la scène politique kenyane pourraient remettre en cause sa capacité à se consacrer totalement à ses missions au sein de l’UA. A sa suite, le profil du Djiboutien Mahamoud Ali Youssouf ne manque pas lui aussi de retenir l’attention. Agé de 58 ans, il a passé près de vingt ans à la tête de la diplomatie djiboutienne et a été à la manœuvre dans plusieurs processus de médiation pour apaiser les tensions dans la Corne de l’Afrique, notamment lors des négociations entre la Somalie et l’Ethiopie pour concilier les deux Etats à propos d’un accès à la mer. Par ailleurs, il a annoncé que la priorité absolue de son mandat s’il est élu sera de « faire taire les armes en Afrique ». Lorsqu’on connait la volatilité du contexte sécuritaire africain et les menaces de contagion, il ne fait pas de doute qu’il puisse bénéficier de plusieurs soutiens, ceci d’autant plus qu’appartenant à plusieurs univers (francophone, anglophone, arabophone), il peut faciliter la création de ponts entre les différentes régions du continent, où les clivages linguistiques ne sont pas tout à fait dépassés. Néanmoins, la suspension de plusieurs membres ayant le français en partage peut éventuellement être un frein si l’on considère les logiques de solidarité linguistique qui peuvent être mobiliser au besoin. Dans la même mouvance, Anil Gayan, qui fut ministre des affaires étrangères mauricien entre 1983 et 1986 puis entre 2000 et 2003 avant d’occuper d’autres fonctions ministérielles, comme celle de la santé et du tourisme, jouit également d’une large expérience multisectorielle qui peut être apprécier par les électeurs. Enfin, le dernier en lice, Richard Randjiamandjiaté de Madagascar, ancien ministre des Affaires étrangères pourra plaider son expérience et les avantages d’avoir un pays comme le sien à la tête de l’UA, bien que ses positions antérieures sur certains conflits à l’étranger puissent susciter des réserves. 


Plus de 60 ans après sa création, l’Union africaine qui a succédé à l’Organisation de l’unité africaine peine à mettre en œuvre ses propres programmes comme l’Agenda 2063 et le NEPAD. Que...

Reactions

Commentaires

    List is empty.

Laissez un Commentaire

De la meme catégorie