Interview : « Le Pastef a proposé des solutions proches des citoyens »

Pr Gatsi Tazo, Maitre de conférences à l’université de Buea, directeur du Institute of Interdisciplinary Studies for Development (IISD).


Le Pastef au pouvoir sort largement vainqueur des dernières élections législatives au Sénégal. Qu’est-ce qui peut expliquer cette victoire face aux poids lourds de la scène politique sénégalaise mobilisés à l’occasion pour lui faire barrage ?
Cette brillante victoire peut s'expliquer par une combinaison de facteurs sociopolitiques, économiques et stratégiques. Il y a d’abord ce contexte de mécontentement populaire dû à la lassitude envers l’élite politique traditionnelle et aux raisons d’ordre économique. En effet, une partie importante de l'électorat sénégalais exprime un sentiment de découragement face aux partis politiques traditionnels, perçus comme déconnectés des réalités quotidiennes. En plus, la crise économique mondiale et les difficultés économiques locales (inflation, chômage, inégalités) ont alimenté un mécontentement généralisé. Le Pastef a su capitaliser sur ce malaise en proposant un discours de rupture et des solutions perçues comme plus proches des préoccupations des citoyens. Il y a ensuite la force politique intrinsèque du Pastef qui repose sur une offre politique jugée sérieuse et portée par un leader charismatique. Le Pastef a présenté un programme électoral axé sur des priorités concrètes telles que l’emploi, la lutte contre la corruption, et la souveraineté économique. Cela a renforcé sa crédibilité déjà établie grâce la personnalité de son leader, Ousmane Sonko qui incarne une figure charismatique et déterminée, perçue comme intègre et proche du peuple. Le troisième facteur de la réussite du Pastef est d’ordre stratégique et rend compte de l’efficacité de la tactique électorale utilisée. Celle-ci a en effet intégré l’engagement des jeunes, l’utilisation des réseaux sociaux, une structure organisationnelle assez solide et l’implication de la diaspora. Cette stratégie multisectorielle a permis au Pastef de pallier à l’inconvénient de son manque d’expérience en la matière. A tout ceci, on peut ajouter les faiblesses inhérentes à l’opposition dont l’ancien parti au pouvoir l’Alliance pour la République de Macky Sall. Ce parti traîne encore comme un boulet de canon l’impopularité acquise à la faveur des tentatives de marginalisation du Pastef avec ce qui a été perçu comme un harcèlement judiciaire contre Ousmane Sonko, et du coup d’Etat constitutionnel manqué avec tentative de confiscation du pouvoir courageusement arbitrée par le Conseil constitutionnel sénégalais.

Peut-on espérer que désormais auréolé d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale, le tandem Diomaye Faye-Ousmane Sonko mette en œuvre ses réformes ?
L’espoir de voir le tandem Diomaye Faye-Ousmane Sonko mettre en œuvre leur programme de réformes, maintenant qu’ils disposent d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale, dépend de plusieurs facteurs. Si leur victoire représente une avancée significative dans leur trajectoire politique, les réalités institutionnelles, sociopolitiques et économiques du Sénégal peuvent poser des défis majeurs. A l’évidence, le tandem a des atouts qui peuvent leur permettre de mettre en œuvre les réformes : ils ont reçu un mandat populaire fort avec l’élection de Diomaye Faye au premier tour et maintenant près de 80% des sièges à l’Assemblée nationale, le tout sur un programme de réformes clair et jouissent d’un soutien populaire établi. Ces atouts ne doivent cependant pas amener à oublier les obstacles potentiels à la mise en œuvre de leurs réformes annoncées. On peut ainsi citer la résistance des institutions et de l’administration encore « infiltrée » par les partisans de l’ancien parti au pouvoir ; les pressions internationales susceptibles de bloquer la mise en place des réformes relatives à la souveraineté économique et stratégique nationale ; un contexte économique national et international difficile marqué par des crises ; sans oublier le risque de fracture du tandem. Ce dernier point est crucial car si Ousmane Sonko et Diomaye Faye maintiennent une cohésion dans leur leadership, cela pourrait renforcer leur capacité à naviguer les défis politiques et institutionnels. Soudé par une relation singulière, le binôme n’est néanmoins pas à l’abri des rivalités entre la primature et le palais présidentiel, situé à 200 mètres l’un de l’autre sur les rives de l’Atlantique. Dans une conférence de presse tenue le 13 juillet dernier, le président Faye a tenu à rassurer : « Ça fait dix ans maintenant que je lutte pour [qu’Ousmane Sonko] s’installe dans le fauteuil présidentiel. Je n’ai pas abandonné cette lutte et je ne compte pas l’abandonner, soyons clairs. » Ce qui n'empêche pas des questionnements sur le véritable leader de ce tandem. Pour Moustapha Diakhaté, ancien président du groupe parlementaire de Benno Bokk Yakaar, la coalition du pouvoir déchu, le président « trahit la Constitution en faisant allégeance à son Premier ministre ».

Quels sont les chantiers prioritaires auxquels le pouvoir sénégalais doit s&rsq...

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