« La dévolution des pouvoirs aux militaires demeure préoccupante »

Dr Christian Pout, ministre plénipotentiaire, président du Think Tank CEIDES, Visiting Associate Professor– directeur du séminaire de Géopolitique africaine, Catholic Institute of Paris.

La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest fait face à une instabilité marquée par une crise institutionnelle au Burkina Faso, en Guinée et au Mali où le pouvoir est aux mains des militaires. En l’état actuel de la situation, peut-on encore espérer un retour à des régimes démocratiquement élus dans des délais raisonnables ?
Les coups de force qui ont eu lieu en Afrique de l’Ouest ces deux dernières années et qui ont abouti au renversement par des militaires de présidents démocratiquement élus, notamment au Mali (août 2020 et mai 2021), Guinée-Conakry (septembre 2021), Burkina Faso (janvier 2022), sont venus rappeler la fragilité d’une région où les avancées en matière de respect des principes démocratiques étaient considérées comme satisfaisantes et en permanente évolution. Des causes intérieures et extérieures, certaines structurelles et conjoncturelles ont été pour beaucoup dans la résurgence des coups d’Etat dans cette partie de l’Afrique. J’aimerais rappeler que ces Etats faisaient face à des défis quasi similaires. On y relevait l’incapacité des politiques publiques à répondre aux besoins des populations, des dénonciations récurrentes de fraudes électorales, une corruption endémique, une flambée de l’extrémisme violent, un appareil sécuritaire défaillant, et non des moindres, une contestation assez marquée de la coopération avec d’anciennes puissances tutélaires, en particulier la France etc. Cette dernière ayant conduit aux côtés des forces de défense et de sécurité de certains pays, des opérations pour lutter contre l’insécurité galopante dans le Sahel et dont le bilan est aujourd’hui considéré comme mitigé. Ces causes ajoutées à l’inefficacité du recours à des puissances étrangères pour enrayer la violence extrémiste et (re)poser les bases d’un développement inclusif et participatif, ont constitué des fissures que les militaires putschistes ont su exploiter. La dévolution du pouvoir dans ces trois pays à des hommes en tenue et/ou sous leur contrôle demeure un sujet préoccupant tant il est difficile d’entrevoir un schéma de sortie de crise fiable. Dans la plupart des cas, les nouvelles autorités bénéficient du soutien des populations. Comment expliquer ce comportement ? D’une part, l’exaspération des populations vis-à-vis des défaillances des régimes autrefois gouvernants au Mali, au Burkina-Faso et en Guinée -Conakry semble avoir poussé une frange de celles-ci à cautionner, sinon à légitimer ouvertement les coups d’Etat qui ont été perpétrés. C’est d’ailleurs en partie cette forme d’adhésion populaire qui justifie l’impopularité des sanctions infligées par la CEDEAO et la défiance des nouveaux acteurs au pouvoir à l’égard des autorités régionales. Certains analystes y ont par ailleurs vu une remise en cause flagrante de la démocratie dite importée et/ou imposée, qui s’effacerait progressivement au profit d’une démocratie plus en harmonie avec les réalités africaines et aspirations des peuples. D’autre part, il est difficile de ne pas voir dans ces coups d’Etat, une redéfinition des rapports d’influence entre grandes puissances dans ces pays, voire même dans la région sahélienne étant donné que les autorités de transition en poste sont accusées de faire beaucoup trop de place aux intérêts russes (recours au groupe Wagner) et chinois dans une moindre mesure.
Au-delà de ces considérations, je note que les positions des institutions supranationales garantes de la paix, de la démocratie et de la bonne gouvernance sont restées fermes. Il y’a eu un consensus entre les acteurs régionaux et internationaux. Il s’agit tout en dialoguant, de faire pression sur les responsables militaires à la tête de l’Etat pour qu’ils cèdent rapidement le pouvoir aux civils. Je dois néanmoins ajouter que l’enjeu réel et c’est le sens du discours de la CEDEAO, est en plus d’écourter le séjour des militaires au sommet de l’Etat, de s’assurer que ceux-ci ne seront pas tentés de réécrire les règles du jeu démocratique en organisant des élections simplement pour mieux se maintenir au pouvoir ou l’exercer par personne interposée. Sinon comment comprendre que les chronogrammes d’organisation d’élections libres et transparentes, préalable de la transmission du pouvoir aux civils, fassent l’objet de tant de divergences et oscillent entre 3 et 5 ans ? Ces projections permettent de constater que ces transitions s’inscrivent dans la durée. Si on peut comprendre le souci de ces autorités militaires d’avoir du temps pour accentuer la lutte contre le terrorisme, restaurer l’intégrité du territoire national, assurer la sécurité des civils et des biens, agir sur la précarité socioéconomique et améliorer la gouvernance, je pense qu’il serait plus approprié dans des délais moins longs, d’accélérer les réformes et de créer les conditions pour permettre à chaque acteur d’assurer les missions qui lui sont traditionnellement dévolues.
Dans sa démarche, la CEDEAO brandit des sanctions et poursuit les négociations avec ces différents régimes. De quelle marge de manœuvre dispose-t-elle pour faire plier ces derniers et rétablir l’ordre constitutionnel dans ces trois pays ?
La position de fermeté de la CEDEAO à l’égard des acteurs ayant pris le pouvoir par la force est conforme à ses textes et à la politique régionale de promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance qu’elle met en œuvre. Il se trouve que son Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de 2001 édicte des normes communautaires qui interpellent aussi l’armée et les forces de sécurité sur le respect des règles démocratiques. Il réitère l’attachement de la CEDEAO aux valeurs démocratiques et à l’exercice du pouvoir civil sans interférence. C’est ce qui a justifié la promptitude avec laquelle elle a sanctionné les pays victimes de coups d’Etat en les excluant d’emblée de toutes ses instances. C’est aussi, ce qui explique qu’elle soit en ce moment à leurs côtés pour les accompagner à trouver des voies rapides de sortie de crise, mais aussi, pour s’assurer qu’il n’y aura pas d’abus, ni de dérives à l’égard des anciens dirigeants et des populations. Compte tenu de son origine et de son mandat, la CEDEAO a l’obligation de porter assistance à ses Etats membres, même s’il arrive que ces derniers ne soient pas en totale conformité avec ses textes. Les sanctions qu’elle a donc eu à adopter sont pour ainsi dire des mesures exceptionnelles qui répondent à la gravité des situations inédites auxquelles elle est confrontée, ici les coups d’Etat. Pour contribuer à la restauration de l’ordre constitutionnel au Mali, au Burkina-Faso et en Guinée-Conakry, la CEDEAO use de ce qui peut être considéré comme son soft et hard power. Dans le registre de son soft power, on peut évoquer ses interpellations quant au respect des droits et des accords, son implication dans les négociations, au dialogue, sa médiation, ainsi que toutes les autres formes d’assistance, facilitation et expertise qu’elle met à la disposition des Etats pour les aider à renouer avec les valeurs républicaines. En ce qui concerne son hard power, il est perceptible à travers les pressions, l’élargissement des sanctions qu’elle peut infliger aux Etats membres agissant en mar...

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