« Il y a une avancée, quoique lente »
- Par Sainclair MEZING
- 20 juil. 2022 13:24
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Dr Ordy Betga epse Mbofung, chercheure au Think Tank Ceides, Observatoire des pays de la Ceeac et du Nigéria.
L’Union africaine célèbre cette année son 20e anniversaire. Quel bilan ?
Vingt ans après, l’UA fait face à un certain nombre de critiques notamment au sein de l’opinion publique africaine, les plus rudes estimant d’ailleurs qu’il ne s’agit que d’un « syndicat de chefs d’État » défendant leurs intérêts respectifs. On peut reprocher à l’UA un certain nombre de tares et de faiblesses, dont l’absence récurrente de position commune en raison des profonds désaccords entre chefs d’États au sujet des crises qui émergent sur le continent et de leur résolution ; son incapacité à prévenir et résoudre les conflits armés et guerres civiles qui minent le continent depuis plusieurs décennies ainsi qu’à contrecarrer la montée fulgurante du terrorisme et de l’extrémisme violent dont souffrent plusieurs pays ; son impuissance face aux manœuvres déstabilisatrices des grandes puissances dans certains pays, etc. En dépit des frustrations sur plusieurs dossiers, on peut objectivement reconnaître un ensemble d’efforts et de réalisations de l’UA depuis sa mise en place : des efforts en faveur de la prévention et de la résolution des conflits à travers les missions de médiation, de maintien de la paix, de dialogue politique et d’assistance humanitaire déployées dans plusieurs pays africains en crise ou à risque en partenariat avec les CER et les partenaires multilatéraux. L’opérationnalisation de l’architecture de paix et de sécurité de l’UA témoigne de la volonté de trouver des solutions aux multiples crises. Malgré les barrières de souveraineté fréquemment érigées par certains pays, l’UA s’est efforcée de ne pas rester indifférente en essayant de rattraper certaines erreurs passées. L’UA s’active à porter la voix de l’Afrique dans les instances internationales. Elle participe aux projets de développement des pays africains par le biais de la BAD et se mobilise pour le développement socio-économique du continent à travers l’appropriation du NEPAD et d’autres programmes en conformité avec l’agenda 2063 de l’Union. Il y a également eu un effort considérable et des réalisations concrètes en matière d’intégration économique préalable à l’intégration politique complète selon le rêve des pères fondateurs de l’OUA et de l’UA, avec l’entrée en vigueur en janvier 2021 de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). En définitive, il y a une avancée, quoique lente, mais cela est assez compréhensible compte tenu de la complexité du contexte africain.
Dans les faits, en quoi l’UA est-elle différente de l’OUA ?
L’OUA et l’UA correspondent à deux époques différentes avec des réalités et enjeux distincts, mais que je dirais complémentaires dans le sens où la construction de l’unité africaine est une quête perpétuelle, un très long processus. L’OUA est créée en 1963 avec pour mission d’accélérer la décolonisation du continent (mission plus ou moins accomplie même si sous plusieurs cieux la colonisation a cédé la place au néo-colonialisme). La guerre froide a eu un impact sur le fonctionnement de l’OUA et elle a été plus réservée sur les questions d’engagement en faveur de la démocratie et des droits de l’Homme. À l’aube du nouveau millénaire marqué par l’émergence de nouveaux défis, il était urgent de réorganiser cette institution devenue obsolète et archaïque dans un monde globalisé, afin de la rendre plus conforme à l’évolution des temps et aux nouvelles aspirations des populations. C’est ainsi qu’est créée en 2002 l’UA avec un mandat plus vaste et une implication plus importante sur les questions de gouvernance, démocratie et droits de l’Homme, car contrairement à l’OUA basée sur le strict respect du principe de non-ingérence, l’UA peut intervenir dans un État membre sur décision de la conférence dans certaines circonstances graves : crimes de guerre, génocide et crimes contre l’humanité. Avec l’UA, il y a une volonté forte de construire des politiques communes relatives à l’essentiel des problématiques intéressant les États membres. On peut citer l’agenda 2063 pour le développement de l’Afrique, la constitution d’un groupe de négociateurs africains sur le climat chargés de développer une vision commune sur la question et des stratégies d’adaptation et d’atténuation durable du changement climatique, et porter la vision et les préoccupations du continent à la conférence des Nations unies sur le climat ; le plan d’action de l’UA sur la relance verte, la stratégie de l’UA sur le contrôle de la prolifération et la circulation illicite des armes légères et de petit calibre ; les politiques et stratégies d’intégration des femmes et des jeunes ; la convention sur la prévention et la lutte contre le terrorisme et bien d’autres définissant les politiques communes à mettre en œuvre par les CER et les États membres. On voit clairement une évolution au niveau des approches et méthodes de travail. Grande évolution également en matière de paix et de sécurité à travers une architecture plus cohérente construite autour du Conseil de paix et de sécurité, la force africaine en attente, le mécanisme continental d’alerte rapide, le conseil des sages, le fonds pour la paix, le mécanisme africain de coopération judiciaire et policière (Afripol), une base logistique continentale abritée d’ailleurs par le Cameroun. L’UA est en effet une institution plus moderne et mieux structurée.
Vingt ans après sa création, l’organisation panafricaine n’arrive toujours pas à enrayer les coups d’État, à faire efficacement face au terrorisme et à combattre la pauvreté. À quel niveau se situe le problème ?
Il est important de comprendre que les faiblesses de l’UA sont un peu à l’image de celles des États africains avec en général des politiques admirables mais dont la mise en œuvre n’est pas effective, et malgré sa bonne volonté elle n’a pas la force nécessaire pour imposer le respect des valeurs démocratiques s’il n’y a pas une réelle impulsion au niveau des États. Un changement anticonstitutionnel du pouvoir entraîne en principe la suspension de l’État concerné jusqu’au retour à la normale. Non seulement cette suspension semble n’avoir pas un effet assez dissuasif, mais en plus elle n’est pas toujours automatique, on l’a vu avec le cas du Tchad pour ne citer que celui-là. L’UA essaie d’avoir un rôle de coordination et de définition de politiques communes, mais c’est en fin de compte aux États que revient la responsabilité de les intégrer et les appliquer à l’échelle nationale pour le bien de leurs populations. La solidarité africaine ne peut s’appuyer que sur des efforts nationaux préalables. Mais comment faire lorsque malgré les engagements pris lors de sommets et les discours officiels on observe un déficit chronique de gouvernance ? La mauvaise gouvernance empêche l’utilisation efficiente des ressources et moyens financiers au service du développement, entraînant une aggravation de la pauvreté et des inégalités, et le non accès aux services de base (santé, emploi, éducation, eau etc.) qui constituent les causes structurelles du développement de l’extrémisme violent et du terrorisme qui est en pleine expansion sur le continent. En 2020, le Centre africain d’étude et de recherche sur le terrorisme (Caert), a recensé 2.034 attaques sur le continent entraînant 8.631 décès. La contestation de la légitimité des institutions étatiques et la défiance politique qui en découle accouchent des rebellions et servent d’ailleurs de prétexte aux putschistes. Même la riposte militaire aux menaces sécuritaires doit répondre aux exigences de la bonne gouvernance pour plus d’efficacité. Les États doivent travailler à maîtriser l’ensemble de leur territoire. Car, la porosité des frontières favorise la circulation des armes et des groupes criminels.&nbs...
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