« La crise russo-ukrainienne est l’onde de choc la plus perturbatrice de 2023 »
- Par Jeanine FANKAM
- 29 déc. 2022 12:00
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Dr Christian Pout, ministre plénipotentiaire, président du Think Tank CEIDES,
2022 a été l’année de la guerre russo-ukrainienne. Elle a suscité des bouleversements au niveau planétaire. Pourquoi un tel impact ?
La crise russo-ukrainienne est l’onde de choc la plus perturbatrice observée durant l’année qui s’achève. Elle est venue rappeler à l’ONU, la fragilité des équilibres et de la stabilité mondiale qu’elle s’attèle à consolider depuis 1945. Cette crise fait office de fracture historique dans les interactions entre les acteurs du système international qui avaient opté de faire appel au droit international pour résoudre leurs litiges plutôt que de mobiliser la force. La violation aussi flagrante du droit international par la Russie augurait certaines transformations. Les implications de ces dernières ont été accentuées par le poids géopolitique et économique de la Russie, ses ambitions et son rôle dans les rivalités de blocs qui opposent les plus grandes puissances du monde. Comme le souligne le Pr. Ntuda Ebodé, il existe un antagonisme traditionnel entre deux blocs majeurs : un bloc américano-occidental autour du duopole Europe-Etats-Unis et un bloc euro-asiatique, autour de la Chine et de la Russie. Dans cette configuration, les Etats-Unis et la Chine sont des puissances dites globales en ce qu’elles disposent des leviers d’une projection mondiale. Tandis que la Russie appartiendrait à la catégorie des puissances intermédiaires. Pour certains, la guerre actuelle serait justifiée par la volonté de la Russie de (re)acquérir le statut de puissance globale en reconstituant son ancienne zone d’influence (ex URSS), notamment en (re)mettant l’Ukraine sous son giron. En effet, s’il est possible d’admettre que les sanctions prises contre la Russie suite à son agression contre l’Ukraine depuis février 2022, visent principalement à l’obliger à mettre un terme au conflit et à restreindre ses marges de manœuvre, il n’est pas à exclure que l’ampleur desdites sanctions puissent avoir pour buts voilés de l’empêcher d’atteindre des desseins hégémoniques plus grands ou simplement de fragiliser un important rival et un grand allié de la Chine.
C’est le poids économique et commercial de la Russie et de l’Ukraine dans un univers globalisé, qui a contribué à créer les bouleversements que vous avez évoqué. Les deux pays ont une influence non négligeable sur l’économie mondiale. Certes, ils ne représentent qu’environ 2 % du PIB mondial. Toutefois, ils ont un rôle clé dans la fourniture de plusieurs matières premières. La Russie et l’Ukraine représentaient près de 30 % des exportations mondiales de blé, 15 % pour le maïs, pour les engrais minéraux et pour le gaz naturel, et 11 % pour le pétrole. D’ailleurs en matière pétrolière, la Russie était le deuxième plus grand exportateur de pétrole au monde, écoulant environ cinq millions de barils de pétrole par jour. Avec une telle emprise, il est normal d’observer des répercussions multidimensionnelles dans le monde et en particulier en Afrique où les Etats sont assez vulnérables en raison de leur forte dépendance aux importations de matières premières en provenance de ces pays.
Y-a-t-il des chances de voir un dénouement à cette crise en 2023 ?
L’enlisement du conflit brouille les perspectives de retour rapide à la normale même si la plupart des acteurs impliqués et extérieurs restent vigilants et négocient dans le but d’empêcher un glissement vers un conflit généralisé ou une catastrophe nucléaire. On observe une relative baisse des attaques entre les parties belligérantes et une forme de dialogue par canaux interposés. Ce sont là des progrès louables. La complexité de la situation et les enjeux qu’elle recouvre, les ambitions réciproques des parties en conflit, et surtout le fait qu’elles rechignent encore à faire évoluer leurs positions sur les compromis à faire pour un cessez-le-feu, ne permettent pas d’enfermer le dénouement de cette crise dans des délais stricts. Par expérience dans ce type de conflit, le plus important n’est pas d’obtenir à une échéance préalablement fixée un simple arrêt des attaques, mais bien de parvenir à un accord de paix durable, qui puissent être accepté, respecté et mis en œuvre par les parties impliquées dans l’avenir. Vous conviendrez donc avec moi que beaucoup de points reste insolubles. Le statut de certains territoires occupés (Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporiyia) continue de diviser. Il y a des exigences sur le traitement des conséquences du conflit, en termes de poursuites judiciaires éventuellement internationales, de dommages- intérêts ou encore l’adoption de politiques sécuritaires qui pourraient menacés l’intégrité de l’un ou l’autre partie. Il me semble toutefois qu’il y’a des raisons d’espérer une diminution des attaques et un élargissement des couloirs humanitaires. Le conflit qui oppose les deux pays continue lentement mais surement à quitter le théâtre des opérations militaires pour se concentrer sur le terrain diplomatique et politique.
Après deux années de perturbation, peut-on considérer que la crise du Covid-19 est derrière nous ?
L’apparition de nouvelles priorités dans les agendas internationaux et nationaux est à mon avis trompeuse sur la disparition ou baisse de la dangerosité de la maladie à coronavirus. Il ne me semble pas possible qu’on puisse affirmer que le monde a tourné la page de la Covid-19. D’abord, par ce que cette maladie infectieuse reste active et fortement mortelle. Le bilan effectué en ce mois de décembre 2022 montre que des nouveaux cas ont été recensés. Même si on observe une baisse drastique du taux de létalité, l’alerte Covid-19 demeure donc active. Il faut souligner ensuite que les moyens nécessaires à la conduite d’une politique de riposte ne sont pas encore totalement acquis par tous les Etats. En Afrique par exemple, des difficultés d’accès au vaccin constituent un vrai obstacle. Le continent importait par ailleurs la quasi-totalité des vaccins administrés aux populations. Fort heureusement, plusieurs unités de production de vaccins COVID-19 ont vu le jour sur le continent en Afrique du Sud, Ghana, Rwanda, Sénégal. Enfin, la pandémie a eu des conséquences plurielles, disproportionnées et inégalitaires dans les régions du monde selon leur seuil de résilience et capacité d’adaptation. Malgré une timide reprise en 2021, les mesures d’adaptation aux difficultés restent peu efficaces à cause du conflit russo-ukrainien.
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