« Il faut s’attaquer durablement à l’extrême pauvreté »

Dr Simon Pierre Omgba Mbida, Diplomate et internationaliste.

Qu’est-ce qui peut expliquer le niveau de violence actuelle à Haïti ?
Les gangs ne sont pas un phénomène nouveau en Haïti, car ils existent depuis les années 50 au moins. Ils se développent particulièrement depuis le milieu des années 1990, à la faveur de la dissolution de l’armée, décidée par le pouvoir local qui a toujours craint les coups d’Etat militaires. Pour les experts, 2018 marque toutefois le point de basculement, parce que le gouvernement recourt alors aux bandes armées pour mater un vaste soulèvement populaire contre la corruption et pour des réformes politiques. Les massacres qu’ils commettent révèlent alors leur instrumentalisation par le pouvoir. Ainsi donc, les gangs profitent de connivences avec le pouvoir, de l’incurie des institutions et du chaos politique qui a suivi l’assassinat du président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021. Selon certains chercheurs haïtiens comme Jean-Marie Théodat, Haïti est devenu un « narco-Etat ». La société civile locale estime qu’Ariel Henry, Premier ministre démissionnaire, a été objectivement complice de la mainmise des bandits sur le pays. Même les gangs en sont arrivés à exiger la démission du Premier ministre en menaçant de déclencher une guerre civile en cas de refus. C’est dire le niveau de déliquescence de l’Etat. Aujourd’hui, les gangs sont plus puissants que le pouvoir politique et les forces de l’ordre, car ces groupes criminels ont décidé de s’autonomiser. Ces groupes de bandits autonomes et disparates se sont coalisés pour forcer le Premier ministre Ariel Henry à démissionner. Selon l’auteur haïtien Frédéric Thomas, ces bandes criminelles utilisent des armes venues des Etats-Unis et prospèrent avec le trafic de drogue, le racket, les enlèvements ou les droits de passage exigés dans les territoires qu’ils contrôlent. On estime actuellement que les gangs tiennent plus de 80 % de la capitale. Leurs multiples exactions ont entraîné l’effondrement des institutions publiques. Compte tenu de la disparition de l’état de droit, la frontière avec Saint Domingue est également devenue une source de fléaux comme le trafic d’armes, la traite d’êtres humains et de substances illicites sans oublier la contrebande de marchandises qui entrent dans le pays. 

Au-delà d’une simple lutte de gangs criminels, que cache cette crise ? 
Les enjeux se situent principalement à deux niveaux dans ce pays. D’abord, pour les 9 familles, qui détiennent le pouvoir économique et de facto le pouvoir politique qu’elles manipulent et instrumentalisent à profusion dans les coulisses, est d’une part de conserver leur position oligarchique à tout prix et ensuite pour les 3 puissances internationales fortement impliquées depuis très longtemps dans la triste et dramatique situation d’Haïti que sont les Etats-Unis, la France et le Canada, c’est d’autre part de conserver leurs influences tous azimuts  parfois nocives dans le pays et très nuisibles pour le peuple haïtien. Car, ces puissances, ne considérant que leurs intérêts propres et immédiats au détriment de ceux des Haïtiens, soutiennent généralement l’insoutenable en apportant leur appui multiforme à des personnes que les populations ne veulent pas ou pire encore ne veulent plus voir aux affaires. C’est avec ce système néocolonial qu’il faut en finir si on veut un semblant de stabilité et de paix à Haïti.

Pensez-vous qu’en l’état actuel de la situation, l’on peut encore sauver la première République noire de ce qui parait aujourd’hui comme une véritable jungle à ciel ouvert ? 
Je partage le point de vue du politologue Frédéric Thomas qui explique que l’alliance entre l’oligarchie d’Haïti et les anciennes puissances coloniales, la France et les Etats-Unis, dont les intérêts convergeaient, est à l’origine du « malheur haïtien ». C’est pourquoi, ces forces négatives doivent absolument être écartées. Mais, c’est une tâche très difficile et complexe. Aujourd’hui, le pays attend la constitution d'un Conseil présidentiel de transition, dont la création a été actée lors d'une réunion d’urgence en Jamaïque, le jour même de la démission d'Ariel Henry. Une réunion à laquelle participaient des représentants haïtiens, la Communauté des Caraïbes (CARICOM), l’ONU et plusieurs pays dont les États-Unis et le Canada. Les deux pays entretiennent des liens depuis très longtemps avec Haïti et viennent d'investir énormément pour rétablir un minimum de stabilité. La France joue également un rôle considérable dans ce pays pour des raisons historiques évidentes. Le véritable problème à résoudre est que les acteurs principaux qui tirent depuis toujours  les ficelles dans les coulisses et profitent allègrement de la situation de délabrement du pays sont aujourd’hui divisés en trois catégories puisque les gangsters qui sèment la terreur dans le pays sont devenus autonomes et ont mutualisé leurs forces à leur côté se trouvent les 9 familles, chacun en ce qui le concerne cherche, à pérenniser sa domination, sans répondre aux exigences internationales ni renoncer à ses activités lucratives ; ajouté à ces deux premières catégories les ingérences répétées des 3 pays occidentaux suscités. Ces trois pays continuent inlassablement d’influencer les processus internes dans ce pays. Il faut impérativement laisser les mains libres au peuple haïtien pour choisir librement lui-même ses dirigeants tout en...

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