Interview : « Un tournant historique pour l'Afrique du Sud »

Dr Serge Christian Alima Zoa, internationaliste, Centre de recherche et d’études politiques et stratégiques (Creps) de l’Université de Yaoundé II-Soa.


Les élections générales en Afrique du Sud se sont soldées par une perte par l’ANC de sa majorité à l’Assemblée nationale, marquant ainsi la fin de 30 années de suprématie de parti. Un résultat qui ne surprend guère…
La vie politique sud-africaine vient d’entrer dans une nouvelle ère. Les résultats des élections générales du 29 mai, entérinent la fin de la domination sans partage du Congrès national africain (ANC). Plombé par la criminalité qui sévit dans le pays, le chômage massif, la faillite des services publics et la déliquescence des infrastructures, notamment les coupures de courant qui empoisonnent la vie des habitants depuis deux ans, le parti a recueilli à peine 40,2 % des voix, soit 159 sièges sur 400, contre 230 en 2019. Pour la première fois depuis la fin de l’apartheid, l’ANC, privé de sa rente liturgique mémorielle, devra former une coalition à l’Assemblée nationale pour conserver le pouvoir. Un exercice inédit, qui place la démocratie sud-africaine sur une corde raide, alors que l’on observe une montée des populismes dans le pays.

D’ici à l’élection du président par l’Assemblée nationale, le parti devra rapidement panser ses plaies. Car, si son déclin dans les urnes était attendu, peu de gens avaient indubitablement anticipé une telle bérézina. La formation reste le premier parti du pays, loin devant son principal concurrent, l’Alliance démocratique (DA), issue de l’opposition blanche à l’apartheid et classée au centre droit, qui rassemble 21,7 % des voix et qui obtient 87 députés. Consécutivement à l’érosion de l’ANC, l’élection a consacré la poussée inattendue du parti de l’ancien président et non candidat Jacob Zuma, Umkhonto we Sizwe (MK, « le fer lance de la nation »), cinq mois seulement après son lancement, qui avec 14,6% de voix rafle quelques 58 sièges tandis que les radicaux de gauche avec les Combattants pour la liberté économique (EFF) se situent à 9,5%. 

Pour beaucoup de Sud-Africains, le mot d’ordre du scrutin le plus disputé de l’histoire du pays a  incontestablement été le « changement ». L’ANC qui perd des partisans à chaque consultation depuis 2009, a fait les frais de cette colère, tout en annonçant son intention d’entamer des discutions avec les autres partis afin de rester au gouvernement et réélire le président Cyril Ramaphosa pour un deuxième et dernier mandat.
 

Le Congrès national africain doit donc mettre sur pied une coalition pour pouvoir diriger. Après le séisme du 29 mai dernier, quels en sont les scénarios possibles ?
Bien que l'ANC reste de loin le plus grand parti, il doit désormais forger des alliances, soit pour former un gouvernement de coalition, soit pour constituer un gouvernement minoritaire, qui devra chercher au coup par coup des alliés avec l’objectif de faire passer son budget et ses projets de loi. En réalité, le paysage politique est délicat et lourd de conséquences, car les principaux partis ont des visions différentes pour le pays. L'Alliance démocratique, favorable aux entreprises, n'est pas facile à intégrer en raison de son programme axé sur le marché libre et de sa réputation de parti de la communauté blanche et d'autres groupes minoritaires.

Elle a d’ailleurs annoncé des « discussions exploratoires » avec d'autres partis, pour « identifier des options » afin d'éviter à tout prix une coalition « apocalyptique » entre l'ANC et deux partis sur sa gauche radicale. Il s'agit de l'uMkhonto weSizwe (MK), dont le nom a été repris de l'aile militaire de l'ANC, et des Combattants pour la liberté économique (EFF). Pour les premiers, l'éviction de M. Ramaphosa est l'objectif principal du parti MK et l'ANC est un dommage collatéral dans ce processus. Les seconds quant à eux parlent de saisir les terres appartenant aux blancs et de nationaliser les mines et les banques. L'ANC considère l'EFF, aux yeux de certains observateurs, comme « trop erratique dans son orientation, trop direct et trop déraisonnable dans ses exigences politiques ». Raison gardée, l'ANC pourrait composer une coalition sur sa droite, avec la DA, qui rassurerait le monde des affaires notamment, ou sur sa gauche radicale, avec le MK de l’ancien président Jacob Zuma ou l'EFF du vitupérant Julius Malema, deux ex-figures de l'ANC ayant fait sécession.

En tout état de cause, l’issue des pourparlers de coalition, qui s'annoncent houleux, pourrait décider de deux orientations très différentes pour l'Afrique du Sud. En effet, le nouveau gouvernement définira la politique fiscale et économique pour les cinq années à venir, et les investisseurs ...

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