Transfert des fonds à la Caisse des dépôts et consignations : les éclairages du Directeur général

Dans une lettre circulaire du 11 juillet dernier, le secrétaire général de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) invitait les établissements de crédit, les établissements de microfinance et les établissements de paiement au Cameroun à surseoir au processus de transfert des avoirs en déshérence au profit de la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (CDEC). Ceci, en attendant la clarification de certains points, notamment de la nature des avoirs, ainsi que la définition des modalités de conservation, de gestion, voire de restitution de ces valeurs. Richard Evina Obam, Directeur général de la CDEC, dans une interview accordée à votre quotidien, lève quelques zones d’ombre sur les questionnements suscités chez bon nombre d’acteurs depuis le début de l’opérationnalisation de cette entité publique de type particulier. 

Monsieur le Directeur général, alors que le processus d’opérationnalisation de la CDEC se poursuit bon an mal an, quels sont vos rapports avec les établissements de crédit, les établissements de microfinance et les établissements de paiement ?
Globalement, la Caisse des dépôts et consignations entretient de bons rapports avec la grande majorité de ceux qui sont appelés à être nos partenaires, y compris les établissements de crédits, de microfinance et de paiement citoyens. A l’entame de la réforme, nous avons opté pour une approche participative afin de prendre en compte les spécificités des différents acteurs, leurs préoccupations et contributions et de permettre l’insertion sans heurt de la CDEC dans l’écosystème. Le message que nous avons véhiculé a pleinement rassuré ces derniers, étant entendu que la CDEC n’a pas vocation à fragiliser le système bancaire, encore moins à se substituer aux établissements de crédit, microfinance et paiement mais faire œuvre de complémentarité. Les parties prenantes ayant compris l’enjeu de la réforme et à qui j’exprime toute ma gratitude, ont adhéré à cette démarche, démontré leur caractère d’entreprises citoyennes, et contribué significativement à la bonne conduite de l’opérationnalisation de la CDEC.  Cependant, malgré la sensibilisation et la démarche consensuelle adoptée par la CDEC, quelques établissements de crédit bien connus, ont continué à manifester leur résistance et à multiplier des manœuvres dilatoires et des arguments spécieux pour retarder le processus d’opérationnalisation de la CDEC. Je suis bien conscient que la conduite d’une réforme suscite des résistances au changement, mais j’estime qu’à un moment donné, il faudrait bien que les énergies convergent vers une synergie constructive, orientée vers l’atteinte de l’intérêt général. A ceux-là, j’envoie à nouveau un appel à la raison en les invitant à se conformer, à cesser de s’opposer à la volonté de autorités camerounaises, et à accompagner le processus d’opérationnalisation de cet instrument important pour le développement de notre économie. Ce qu’il faut retenir c’est que la CDEC est un acteur complémentaire qui est amené à collaborer avec le secteur bancaire et financier et nous devons travailler ensemble comme des partenaires, pour contribuer ensemble au financement des projets d’intérêt général qui visent le développement économique du Cameroun.


Où en êtes-vous avec le processus de transfert de fonds et valeurs dévolus à la CDEC enclenché depuis le 31 mai dernier ?
Le processus de transfert a commencé bien avant la signature du décret n°2023/08500/PM du 1er décembre 2023. De nombreuses entreprises citoyennes se sont activement conformées aux dispositions législatives et réglementaires en procédant au transfert spontané des fonds à la CDEC. Au lendemain du 31 mai 2024, date butoir établie par le décret susmentionné, les montants transférés à la CDEC s'élèvent à une quarantaine de milliards de F. Il est important de noter que ces montants sont inférieurs aux prévisions, particulièrement en ce qui concerne le stock historique minimum prévu. En ce qui concerne les consignations judiciaires, les concertations à l’issue de la tournée effectuée par la CDEC auprès des juridictions ont permis d’identifier de manière consensuelle les catégories des fonds immédiatement transférables et les fonds devant faire l’objet de transfert différé. Ces travaux qui se sont déroulés de manière progressive et sereine, ont également abouti à la définition d’un mode opératoire optimal permettant de maintenir le bon fonctionnement des services judiciaires.

Quels sont les types de fonds et valeurs qui doivent être transférés à la Caisse des Dépôts et Consignations, notamment en provenance des banques ?
La loi n°2008/003 du 14 avril 2008 a identifié les fonds qui doivent faire l’objet de dépôts et consignations auprès de la CDEC. Il s’agit des consignations administratives, des consignations judiciaires, des consignations conventionnelles et des dépôts. Nous avons également la loi sur la dématérialisation et l’acte uniforme OHADA portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution qui réglementent les dépôts et consignations. Ainsi, toutes les consignations et tous les dépôts identifiés par les lois et règlements doivent être transférés dans les livres de la CDEC. Au regard de l’organisation du système financier camerounais, ces sommes sont domiciliées soit dans le réseau Trésor, soit dans le réseau des établissements de crédits, de microfinance et de paiement. Par conséquent, la quasi-totalité des fonds et valeurs dévolus à la CDEC est logée dans les livres des établissements de crédit. L’on peut citer, de façon non-exhaustive, les fonds issus des comptes inactifs, les dépôts rémunérés à terme des entités publiques, les fonds placés sous séquestre, les fonds des greffes, les fonds détenus par les auxiliaires de justices, les sommes liées aux cautionnements sur les marchés publics, etc… Cependant, lorsqu’on parle de transfert, il ne faudrait pas penser que les fonds et valeurs sortent du réseau bancaire. La CDEC n’étant pas une banque, nous avons demandé à chaque banque de la place d’ouvrir dans ses livres un compte au nom de la CDEC et d’y transférer l’ensemble des sommes qui lui sont dévolues. Il s’agit donc d’un simple jeu d’écritures, des opérations comptables sans mouvement de trésorerie d’une banque vers une autre. Cette démarche vise à maintenir les équilibres financiers dans la perspective de la sauvegarde de la stabilité du système bancaire. 

Quid des fonds en déshérence qui font couler beaucoup d’encre et de salive depuis quelques jours ?
Le décret n°2023/08500/PM du 1er décembre 2023 fixant les modalités de transfert des fonds et valeurs dévolus à la CDEC, définit en son article 3 la déshérence comme une situation dans laquelle se trouve un fonds ou une valeur lorsque son bénéficiaire ne se manifeste pas. Au sens de ce décret, cette notion est liée aux montants frappés de prescription et non versés aux bénéficiaires des contrats d’assurance-vie. Le règlement CIMA n°003/CIMA/PCMA/PCE/2018 du 12 avril 2018 dispose que ces montants doivent être reversés à la Caisse des dépôts et consignations. Relativement aux établissements bancaires, le décret du 1er décembre 2023 demande qu’ils transfèrent à la CDEC les soldes créditeurs des comptes courants et des comptes d’épargne qui n’ont enregistré aucune opération à l’initiative du titulaire sur une période de six (06) ou huit (08) ans, suivant la nature du compte. En ce qui concerne les « avoirs en déshérence » évoqués par le Secrétaire général de la COBAC, l’institution reconnait qu’elle n’a pas encore un cadre réglementaire au niveau communautaire. La règlementation nationale parle des comptes en déshérence pour les compagnies d’assurance et des comptes inactifs au niveau des établissements de crédit, mais également des valeurs mobilières vendues dans le cadre de la dématérialisation.

Selon une certaine opinion, ces transferts dont les montants se chiffrent en dizaine de milliards de FCFA voire plus, vont vider les banques et probablement perturber la stabilité financière du Cameroun. Qu’en est-il exactement ?
C’est complètement inexact. Les autorités camerounaises ont pris toutes les dispositions pour que l’opérationnalisation de la CDEC ne déstabilise pas les équilibres du système financier. Le décret du Premier ministre a donné la possibilité aux établissements de crédit, de microfinance et de paiement, ainsi qu’aux autres acteurs détenteurs des ressources dévolues à la CDEC, de recourir aux modalités particulières de transfert en cas de fragilité financière ou de risque d’exposition au non-respect de certains ratios. Ces modalités particulières permettent aux établissements bancaires de procéder aux transferts des fonds dans un compte ouvert dans leurs livres au nom de la CDEC, sans qu’il y ait un mouvement de trésorerie. Ils peuvent aussi solliciter un échéancier de transfert. Bien qu’ayant participé à l’élaboration du texte, aucun acteur n’a sollicité le recours à ces modalités particulières.
En plus, aucun rapport publié par l’autorité monétaire, la BEAC, la COBAC ou même la profession bancaire n’a fait état d’un risque sur la stabilité financière du fait de l’opérationnalisation de la CDEC. Il est temps que ces fonds cessent d’abonder les intérêts individuels et corporatifs, pour financer l’intérêt général. Et c’est également l’occasion de souhaiter que l’Autorité monétaire impose à la COBAC de faire preuve de transparence sur le volume réel des comptes inactifs dans le système bancaire.

Certains banquiers craignent des actions pénales par leurs clients après vous avoir transférés les fonds des comptes inactifs. Comment ce cas de figure pourrait-il être géré ?  
Cette appréhension est infondée et n’a aucun fondement juridique. La traçabilité des opérations de transfert des fonds provenant des comptes inactifs par les banques vers la CDEC est effectuée de manière rigoureuse. En effet, chaque montant transféré entraîne la clôture du compte et la conservation du procès-verbal de transfert, ainsi que des pièces comptables conformément au décret du Premier ministre. En réalité, cet argument fallacieux que quelques banques inciviques et récalcitrantes tentent d’insinuer dans l’imaginaire collectif doit être vu comme une énième manœuvre dilatoire visant à éviter de respecter des obligations légales qui leur incombent. Comment peut-on envisager ne serait-ce qu'un instant des poursuites judiciaires à l'encontre d'une banque pour avoir appliqué les lois et règlements en vigueur ?
Pour revenir à la question qui nous occupe, il est crucial de souligner que le transfert des fonds issus d'un compte inactif à la CDEC ne lui confère en aucun cas la propriété desdits fonds. Ils sont conservés et sécurisés, et font l’objet d’une restitution à première demande du bénéficiaire ou de ses ayants droits dans la limite du délai légal. Après trente (30) ans sans manifestation du bénéficiaire ou de ses ayants droits, la CDEC reverse définitivement ces fonds à l’État, qui en devient le propriétaire au titre de la déchéance trentenaire. Cette situation n'est d'ailleurs pas nouvelle car les banques avaient déjà cette obligation en application de l'article 2262 du Code Civil, sans craindre les poursuites. En revanche, je peux vous assurer que les dirigeants des établissements de crédit, de microfinance et de paiement pourraient être poursuivis pour détournement des deniers publics et enrichissement sans cause, s’ils refusent pour quelques motifs que ce soit de transférer les fonds dévolus à la CDEC.

Que comptez-vous faire en rapport avec la position de la COBAC qui a invité les établissements de crédit, de microfinance et de paiement du Cameroun à surseoir au transfert de certains fonds ?
Je tiens à rappeler que la COBAC est chargée de garantir le respect, par les établissements de crédit, des dispositions législatives et réglementaires émises par les autorités nationales. Elle n'a pas le droit de s'immiscer dans un domaine souverain en demandant le report de l'application d’un décret du Premier ministre chef du gouvernement, pris en application d'une loi votée par le parlement camerounais sous le prétexte de l'absence d'une réglementation dans un domaine qui ne relève pas de sa compétence communautaire. En vertu du principe de subsidiarité du droit communautaire, seule l’efficacité maximale est prise en compte en cas de compétences concurrentes. D’ailleurs il n’existe pas de compétences concurrentes puisque l’article 7 de l’annexe de la convention portant création de la COBAC énumère limitativement les attributions de la COBAC et confère compétence aux autorités nationales en ces termes : « Les autorités nationales demeurent compétentes en toute autre matière ». C'est le cas du service public de dépôts et consignations, qui ne fait pas partie des attributions de cette dernière et n’a pas fait l’objet d’un transfert de compétence à la communauté. La construction communautaire est réalisée par les États membres et non par la défense des intérêts corporatistes ou individuels visés par une poignée de banques connues. Cette action non concertée a fortement affecté le capital-confiance établi entre la CDEC et les banques citoyennes avec qui nous sommes amenés à collaborer sur le long terme. De plus, elle a considérablement ébranlé la confiance dans nos institutions publiques. Il est également important de rappeler qu’interpellé par l’APECCAM dans le cadre d’une autre affaire le Gouverneur de la BEAC a, dans une correspondance datée du 8 septembre 2023 adressée au ministre des Finances, autorité monétaire, rappelé la compétence exclusive de la CDEC en matière de dépôts et consignations en ces termes : « Il apparait donc que les règles communautaires …ou nationales applicables, particulièrement celles régissant les dépôts et consignations au Cameroun ne sont pas respectées. En effet la loi 2008/003 du 14 avril 2008 régissant l...

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