Climat post-électoral : les clarifications du Mincom

Le chapitre de l’élection présidentielle 2025 est définitivement clos. Toutefois, les développements, parfois malheureux, observés depuis le scrutin du 12 octobre dernier méritent bien de marquer un temps d’arrêt pour faire une évaluation de la situation. C’est à cet exercice que s’est livré le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, le 6 novembre dernier, jour de prestation de serment du président réélu, Paul Biya. Répondant aux questions de Radio France International (RFI), René Emmanuel Sadi, en position de « Grand invité Afrique », s’est exprimé sur la situation de Issa Tchiroma Bakary, vainqueur autoproclamé de l’élection. Il est par ailleurs revenu sur les violences post-électorales enregistrées suite aux appels à manifester et aux villes mortes lancés par ce dernier, le bilan humain desdites violences et leurs implications juridiques, la crédibilité du processus électoral, l’attitude peu élégante de certaines chancelleries occidentales, entre autres. Nous reprenons ici l’intégralité de cette interview.

D'après les résultats proclamés par le Conseil constitutionnel, le président-candidat Paul Biya est réélu, mais il perd 14 points par rapport à 2018. Est-ce que ce n'est pas préoccupant pour vous ? 
Écoutez, le premier enseignement que nous tirons de cette élection présidentielle est que la compétition a été très âpre, très ouverte, très intense. Elle a été marquée par une plus grande détermination de l'opposition. Une opposition manifestement résolue à défier le RDPC et, partant, à défier le pouvoir en place. Bien évidemment, le score que vous avez indiqué, que le Conseil constitutionnel a donc rendu public, celui des 53,66% en faveur du président Biya, reflète bien l’âpreté de cette compétition, montre bien qu'elle a été transparente, ouverte et que l'opposition s'est considérablement battue pour renverser un peu la situation. Donc, nous ne pouvons qu'être satisfaits de ce score qui a été fait par le président Biya, et qui lui donne la majorité à cette élection, et qui indique que ses compatriotes ont tenu à lui renouveler leur confiance. Bien qu'effectivement, nous constatons un décalage par rapport au score que nous avons connu les années précédentes. Ceci, bien évidemment, est pour le RDPC une interpellation. L'interpellation à prendre conscience du fait que nous ne sommes plus tout à fait seuls sur la scène politique nationale et que, dorénavant, nous devrons travailler davantage pour maintenir notre position dominante sur l’échiquier national. Donc, je pense que pour nous, c'est une satisfaction. Le président a été réélu démocratiquement. Il a la majorité à cette élection. Mais, en même temps, nous tirons des conclusions selon lesquelles nous devons continuer de travailler davantage pour asseoir la suprématie, si on peut dire ainsi, de notre parti sur l'ensemble de la nation.


Le candidat de l'opposition qui fait une percée, c'est Issa Tchiroma, qui obtient officiellement 35% des voix. Il y a 4 mois, quand il a démissionné du gouvernement, beaucoup de responsables politiques du pouvoir ont dit que sa volte-face serait mal vue par les électeurs. Est-ce que ces responsables ne se sont pas lourdement trompés ? 
S'agissant de M. Tchiroma et de ce que certains ont appelé sa percée, je pense qu'elle est due à plusieurs facteurs. D'abord, un facteur conjoncturel, qui est marqué par le fait qu'une bonne frange de nos concitoyens n'a eu de cesse de ressasser le changement à tout prix et à tous les prix. Comme s’il s'agissait d'une panacée. Le changement est devenu une sorte de programme politique. Autrement dit, le changement pour le changement. Mais pour être plus explicite, je pense que M. Tchiroma a su rallier autour de lui le gros du socle électoral du Septentrion. Et ceci au détriment des autres formations politiques de cette région. Et à l'aide d'un narratif qui contenait et exprimait sans doute un peu mieux les désidératas et les attentes des populations de cette région. Enfin, je pense aussi que M. Tchiroma a bénéficié du ralliement de quelques partis politiques de l'opposition. Et c'est tout ceci qui lui aura permis d'atteindre le score que nous avons tous noté. A la satisfaction de ses militants, un score qui avoisine je crois les 35%.
C'est un score tout à fait honorable. C’est tout à fait louable. Et c'est pour cela que nous pensons qu'il devrait pouvoir prendre acte de cette avancée tout à fait appréciable et tenir compte du fait qu'on ne peut pas du jour au lendemain, tout juste comme ça, accéder à la présidence de la République. Je crois que ça demande beaucoup de temps et il faut compter avec beaucoup de travail. Et supposons qu'avec le temps, il pourra consolider les assises de son parti. 


Pour beaucoup d'observateurs, M. le ministre, et notamment pour l'archevêque de Douala, Mgr Kleda, les résultats officiels ne sont pas crédibles parce qu'il s'est passé 15 longues journées entre le jour du vote et le jour de la proclamation des résultats et parce qu'en 15 jours, toutes les manipulations sont possibles… 
Écoutez, évidemment, l'opinion de Mgr Kleda lui est propre. Mais je pense qu'il n'ignore pas que nous avons un Code électoral qui a une procédure tout à fait connue. Et l'élection présidentielle a connu toutes les étapes au niveau de son dépouillement, qui passe par les commissions locales de vote, les commissions départementales de vote, la commission nationale de recensement général des votes et enfin le Conseil constitutionnel, qui sont toutes les instances appropriées, qui apprécient la véracité des chiffres. Et je signale qu'à toutes ces étapes, chacun des candidats en lice est représenté. Il n'y a donc pas de doute possible sur les chiffres proclamés par le Conseil constitutionnel. Je vous fais d'ailleurs remarquer que s'il y a un parti qui peut prétendre confirmer ou infirmer les résultats du scrutin, c'est bien le RDPC, parce qu'il est le seul à être présent à travers ses structures organiques sur toute l'étendue du territoire national. Et s'agissant du délai de 15 jours requis avant la proclamation des résultats, il est non seulement conforme à la loi électorale, mais il tient compte aussi de nos réalités du moment. Vous ne le savez peut-être pas, il faut encore plusieurs heures, voire plusieurs jours pour disposer de tous les procès-verbaux. Ceux-ci devant être acheminés à partir des localités parfois très éloignées des centres urbains. 


Oui, mais 15 jours d'opacité totale, sans aucun résultat d'étape, bureau de vote par bureau de vote, département par département, région par région, comme dans la plupart des pays du monde, est-ce qu'il n'est pas normal que tout cela nourrisse beaucoup de suspicions ? 
Non, je crois qu'il y a une volonté de transparence qui est manifeste et je pense qu'on devrait pouvoir accepter ces résultats et leur accorder davantage de crédit. 
Mais la transparence, comme vous dites, c'est seulement au bout de 15 jours. Pendant les 15 jours qui séparent le jour du vote du jour de la proclamation, on ne sait rien au niveau des instances officielles. On n'a aucun chiffre, aucun rapport d'étape, rien du tout…
Mais vous savez que, justement, le problème c'est que ce sont ces tendances que l'on proclame parfois à travers les réseaux sociaux qui créent des polémiques inutiles. Et ceci est de nature à porter atteinte à l'ordre public. 


Mais si les instances officielles et si Elecam publiaient des rapports d'étape, faisaient le point, bureau de vote par bureau de vote, département par département, région par région, est-ce qu'il n'y aurait pas plus de transparence et moins de suspicions ? 
C'est une hypothèse que vous avancez. Pour l'instant, l'instance chargée de ces élections qui est Elecam essaie de faire du mieux possible. Et nous pensons que, jusqu’à présent, les dernières élections ont témoigné de la justesse de cette approche. Maintenant, si cette hypothèse que vous avancez est favorablement appréciée avec le temps, il est possible qu'au cours des échéances prochaines, on procède de cette manière, c'est-à-dire qu'à travers chaque bureau de vote, on proclame les élections. Mais pour l'instant, je vous le dis, la procédure qui a été retenue, c'est celle de passer par les commissions locales, les commissions départementales, la commission nationale, et ensuite le Conseil constitutionnel. Mais c'est une hypothèse qui n'est pas à exclure. Peut-être qu'avec le temps, on pourrait envisager pour, comme vous le dites, plus de transparence, procéder de cette façon. 


Alors, Issa Tchiroma a dit que les résultats officiels sont une mascarade et vu qu'il a été dans les mêmes gouvernements que vous pendant de nombreuses années, vu qu'il connaît donc très bien le système politique camerounais de l'intérieur, est-ce qu'on n'est pas obligé de prendre ce qu'il dit au sérieux ? 
Monsieur Tchiroma, comme vous l'avez dit, a été membre du gouvernement pendant assez longtemps. Je pense que s'il conteste ces élections, ce n'est pas tant parce qu'il a les preuves que ces élections ont été faussées dans leurs résultats. Nous pensons qu'il le dit parce qu'il était partie prenante. Et malheureusement, on ne peut pas être juge et partie. Vous avez d'autres candidats qui ont accepté les résultats de ces élections.


D'après nos confrères d'Africa Intelligence, Issa Tchiroma n'est plus dans son fief de Garoua au Nord Cameroun. Il y a une semaine, il aurait franchi la frontière avec le Nigeria et séjournerait à présent dans la cité nigériane de Yola. Est-ce que vous confirmez ?
C'est une information que vous nous donnez. Ça relève des services de renseignement dont je ne suis pas. Éventuellement, nous saurons exactement où il est, s'il est au Cameroun ou s'il n'est pas au Cameroun. Sur ce plan, je n'ai aucune information et je ne peux rien vous dire dans le sens de la confirmer ou de l’infirmer.


Vendredi dernier (le 31 octobre, Ndlr), Issa Tchiroma a déclaré avoir quitté son domicile de Garoua sous la protection d'une partie de l'armée. Est-ce à dire que l'armée camerounaise est traversée par des divisions politiques ?
Ça c'est une affirmation de Monsieur Issa Tchiroma. C'est lui qui en porte l'entière responsabilité. Je ne saurais vous dire s'il a été escorté par un certain nombre de nos soldats ou pas. Si on peut lui accorder du crédit, tant mieux. Mais ce n'est que lui qui en porte la responsabilité. C'est lui qui porte la responsabilité d'une telle affirmation. 


Dans une dernière adresse aux Camerounais, ce mardi (le 4 novembre, Ndlr), Issa Tchiroma a demandé aux forces de défense et de sécurité de se tenir aux côtés du peuple. Est-ce que c'est un scénario que vous redoutez ? 
En tant que porte-parole du gouvernement, j'ai vivement dénoncé et condamné les appels à la révolte lancés par Monsieur Issa Tchiroma. Les appels à la révolte et aux villes mortes qui ont été lancées par Monsieur Tchiroma pour contester les résultats de l’élection présidentielle. Je pense qu'en tant qu’homme politique, homme d’Etat, personnalité qui aura pendant de longues années servi la République Monsieur Issa Tchiroma gagnerait à faire montre de plus de responsabilité, de patriotisme. Et sans doute, dans cette situation, je crois, relativiser son inspiration ou ses ambitions personnelles d'accéder à la magistrature suprême et de privilégier davantage l'intérêt supérieur de la nation. En politique, il faut pouvoir, à un moment donné, faire preuve de fair-play, comme on dit, comme dans un match de football. Et si on a gagné, tant bien, mais si on a perdu, accepter sa défaite et féliciter le vainqueur, c'est tout. 


La semaine dernière, votre collègue, le ministre de l'Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a fustigé, je cite : « l'irresponsabilité d'Issa Tchiroma » et a déclaré que celui-ci devrait répondre devant les juridictions compétentes. Est-ce qu'un mandat d'arrêt a été lancé contre le candidat de l'opposition ? 
Je crois qu'à ma connaissance, Monsieur Tchiroma n'aurait pas encore fait de façon officielle l'objet d'un mandat d'arrêt. Ce sont un certain nombre de choses qui relèvent de nos juridictions. Il est vrai que les appels à l'insurrection, les appels aux atteintes à l’ordre public, les incitations à la révolte face à une situation comme celle-ci sont passibles de sanction par la loi. Nous avons une loi qui réprime ce genre de comportements et il n'est pas à exclure que Monsieur Tchiroma fasse l'objet d'une interpellation. Il n'est pas à exclure, si on a le sentiment qu’au-delà de l'élection présidentielle, il s'est engagé dans une voie qui vise à fomenter une insurrection de grande ampleur. Vous savez, c'est quand même l'intérêt de la nation qui prime dans cette affaire. 


Et pour vous, l'heure est plutôt à la fermeté ou à l'apaisement avec Tchiroma ?
Tout est possible. Nous pensons que nous avons tous intérêt à faire en sorte que notre pays connaisse la paix et la stabilité, que l'apaisement prévale parce que le Cameroun, c'est notre cause commune, c'est notre maison commune. Nous n'avons aucun intérêt à voir cette maison commune brûler. Si elle brûle, nous brûlons avec. Et donc, le porte-parole que je suis ne prêche que l'apaisement. Vous savez, nous avons connu des situations qui ont été préjudiciables : Boko Haram dans l'Extrême-Nord de notre pays, ces dernières années, la situation dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Et donc, nous ne pouvons pas aujourd'hui contribuer à faire en sorte que le Cameroun puisse faire face à une autre crise post-électorale. 


Alors, vous souhaitez l'apaisement, mais en même temps, depuis vendredi dernier (le 31 octobre, Ndlr), trois proches d'Issa Tchiroma sont en prison. Il s'agit d’Anicet Ekane, Djeukam Tchameni et le professeur Abba Oyono. Est-ce que ce n'est pas contradictoire ? 
Vous savez, nous avons des lois. Si Messieurs Ekane Anicet, Abba Oyono ont participé à l'incitation à l'insurrection, comme ça a été le cas de la part de Monsieur Issa Tchiroma, il est certain que si ces faits sont établis, les services compétents pourront en tirer toutes les conséquences possibles.


La semaine dernière, la proclamation des résultats officiels a été suivie de manifestations et d'affrontements avec les forces de l'ordre. Et aujourd'hui, deux sources de l'ONU citées par l'agence Reuters donnent le chiffre de 48 morts. Est-ce que vous confirmez ? 
48 morts ! Non. Il y a eu certes des pertes en vies humaines et cela ne peut que nous attrister. Ceci d’autant plus que ces jeunes gens qui ont perdu leur vie sont victimes de manipulation, victimes d'instrumentalisation dont les mo...

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