« L’Extrême droite prospère là où le lien social est faible »

Dr Serge Christian Alima Zoa, internationaliste, Centre de recherche et d’études politiques et stratégiques (CREPS) de l’Université de Yaoundé II-Soa, Université Catholique d’Afrique centrale.

L’Europe est marquée par une montée de l’Extrême droite. Qu’est-ce qui peut expliquer l’ascension de ces courants idéologiques ? 
Les extrémismes par le truchement de certaines formations politiques sont en effet en progression dans la plupart des pays européens, même dans ceux traditionnellement préservés tels que l’Allemagne, l’Espagne et le Portugal, que la mémoire encore vive du nazisme et de l’autoritarisme prémunissaient contre le retour des courants idéologiques de ce type. Depuis quelques années, ils constituent des forces capables de prétendre à l’exercice du pouvoir, même au cœur de l’Union européenne. Trois pays sont dirigés aujourd’hui par un parti d’extrême droite. La Hongrie, d’abord, avec le FIDESZ, au pouvoir depuis 2010, l’Italie, avec Fratelli d’Italia depuis 2022, et les Pays-Bas, où le Parti de la Liberté domine une coalition de droite. En Finlande et en Slovaquie, si l’Extrême droite ne dirige pas directement le pays, elle participe à des gouvernements de coalition, tandis qu’en Suède, elle soutient le gouvernement de droite sans pour autant y participer. En France, elle semble n’avoir jamais été aussi proche du pouvoir depuis le régime de Vichy.  Derrière ces victoires dans les urnes, l’Extrême droite gagne aussi bien sûr de l’influence en termes de politiques publiques Les causes de cette ascension sont évidemment multiples. L’Extrême droite d’aujourd’hui prospère là où le lien social est faible, c’est-à-dire là où les individus sont isolés, participent peu et n’ont pas d’autre moyen d’expression politique que la protestation. De ce fait, elle attire ce segment électoral par une liturgie sidérale en matière migratoire, identitaire et sécuritaire en bénéficiant d’une perte de confiance de cet électorat envers le fonctionnement de la démocratie. 


L’Extrême droite serait-elle donc devenue une alternative pour les laissés-pour-compte ? 
Avec la disparition des grands partis de gauche en Europe, l’Extrême droite paraît désormais respectable et capable d’offrir des solutions économiques simplistes aux problèmes socio-économiques. La progression de ses mouvements et la dédiabolisation de ses discours populistes sont également liées à une recherche de réponses, après les nombreuses crises auxquelles les Européens ont fait face depuis la crise économique de 2008, puis la forte hausse des prix de l’immobilier les années suivantes, la pandémie de Covid. La guerre en Ukraine a ensuite provoqué une crise de l’énergie ainsi qu’une forte inflation, faisant diminuer le pouvoir d’achat de nombreux citoyens. Ces crises ont renforcé les inégalités entre les personnes les plus riches et les plus pauvres dans un contexte d’exacerbation des rivalités économiques intra européennes par le marché unique et des conséquences politiques des migrations intra et extra européennes non  négligeables dans la montée du repli identitaire. Le constat est donc celui de l’essoufflement du modèle économique podagre des Européens qui a engendré une profonde frustration démocratique en détruisant peu à peu la légitimité de leurs institutions. Des thèmes qui peuvent susciter la peur et l’anxiété comme l’immigration, la criminalité ou encore le terrorisme, ont renforcé l’attractivité des arguments des extrêmes.   


Ces mouvements aux idéologies racistes et nationalistes luttent contre l’immigration et le multiculturalisme. Ne faut-il pas s’inquiéter pour l’avenir du monde et des relations entre les peuples ? 
La rhétorique radicale au nom d’une idéologie autoritaire, raciste et nationaliste risque en effet d'intensifier davantage la discrimination à l'égard des 12 à 14 millions de personnes issues de pays tiers et des 4 millions de Noirs qui vivent dans l'Union européenne, confrontées déjà à la violence physique, à la discrimination quotidienne et au harcèlement verbal - citoyens de deuxième classe ayant droit à un traitement de troisième classe. La montée des extrémismes aux quatre coins de ce continent, symptomatique de la psychose historique migratoire, affaiblit les droits humains, en l’occurrence les droits des personnes d’origine étrangère ou des femmes. Dans les pays où l’Extrême droite est au pouvoir, avec ces mouvements conservateurs et attachés à l’image de la petite famille nombreuse et hétérosexuelle comme modèle de réussite, il a été possible pour certains analystes de noter une glaciation et un recul desdits droits. En mai 2023, même le groupe d’eurodéputés français du RN s’est abstenu sur la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. En Italie, Pologne ou Hongrie, la liberté de la presse, elle aussi, en a pris un coup. Pour ses prises de conscience écologiques, l’Extrême droite en Europe se reconnait globalement dans un discours climato sceptique. Aux Pays-Bas par exemple, le PVV de Geert Wilders a basé sa campagne en minimisant l’ampleur de la...

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