Interview : « Les besoins directs des populations ont été pris en compte »

Serge N’Guessan, Directeur général du Groupe de la Banque africaine de développement pour l’Afrique centrale et responsable du bureau pays pour le Cameroun.

Le Groupe de la Banque africaine de développement est l’un des principaux bailleurs de fonds pour la construction de la route Batschenga-Ntui-Yoko-Lena-Tibati-Ngatt. Comment appréciez-vous les travaux été réalisés à ce jour ?
La Banque africaine de développement a contribué, avec d’autres partenaires techniques et financiers du Cameroun, au financement de cet important axe routier. En effet, l’Agence française de développement (AFD), la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), la Banque islamique de développement (BID) et l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA) se sont associées à notre institution pour réaliser, aux côtés du gouvernement du Cameroun, cette infrastructure remarquable. Je voudrais également préciser qu’à la demande du gouvernement, la Banque africaine de développement (BAD) a financé les différentes études de maturation de l’opération.
La visite du tronçon Batschenga -Ntui-Yoko-Lena m’a permis de parcourir un bel ouvrage routier, qui est en cours d’achèvement. Je suis fier de la qualité du travail qui a été réalisé par les entreprises, sous la supervision des cabinets de contrôle et de surveillance des travaux, de l’administration publique camerounaise et des équipes des partenaires techniques et financiers. J’ai pu noter que les besoins directs des populations, le long de cette route, ont été pris en compte. Cela a concerné la réhabilitation, la construction et l’équipement d’infrastructures socioéconomiques telles que des écoles, des centres de santé, des hangars des marchés, des centres de conservation et de transformation de produits vivriers, etc. Les voiries urbaines ainsi que les routes communales, construites à cette occasion, ont permis de désenclaver des zones d’habitation et des bassins de production agricole pour faciliter le transport des produits vivriers vers les centres de consommation.
Je voudrais sincèrement saluer les populations de la zone d’impact du projet pour la forte résilience dont elles ont fait preuve et toutes les équipes qui ont permis d’atteindre cet objectif. J’ai pu observer la grande satisfaction des populations qui attendaient cette route depuis 1958. Je voudrais leur dire que d’autres chaînons sont encore à finaliser pour améliorer leurs conditions de vie. Maintenant, le plus important pour nous est d’accélérer la livraison de ces ouvrages afin d’accroître la production et la transformation des produits agricoles tels que le riz, le maïs, le soja, l’huile de palme, la banane-plantain et le manioc pour permettre non seulement de ravitailler suffisamment les centres urbains du Cameroun, mais aussi de renforcer les échanges commerciaux entre les pays de la région de l’Afrique centrale, à partir du Cameroun.


Qu’est-ce qui a décidé la BAD à financer cette infrastructure ? Pensez-vous que les objectifs ont été atteints ou sont en passe de l’être ? La contribution de la BAD au financement de ce projet fait partie du mandat que lui ont confié ses pères fondateurs. A savoir, favoriser le développement économique des pays africains et contribuer à améliorer les conditions de vie des populations en Afrique. En effet, l’aménagement de la route Batschenga-Ntui-Yoko-Lena-Tibati-Ngatt contribue à mieux intégrer la région Afrique centrale en reliant le Cameroun et le Tchad. Cette route offre une alternative plus courte de 200 kilomètres, soit une réduction d’environ trois heures et demi de temps de parcours des marchandises par camion, entre Ndjaména et les ports camerounais de Douala et de Kribi qui constituent les principales voies d’accès du Tchad pour ses importations et exportations. Cette route contribue au désenclavement intérieur et à l’aménagement du territoire camerounais, notamment en établissant une liaison pérenne entre la partie septentrionale et le sud du pays à travers la plaine centrale à fort potentiel agricole. Elle crée ainsi des opportunités de développement socioéconomique pour des millions de Camerounais vivant dans les zones concernées.
Je peux vous assurer que le but visé est grandement atteint puisque la transformation des nombreuses opportunités offertes aux populations dans le cadre de cette opération est déjà en cours sur le terrain, notamment à travers la valorisation des productions agricoles. Cette opération a aussi permis, comme je le disais précédemment, d’améliorer l’habitat pour les populations. Il en est de même pour ce qui est de l’amélioration des conditions d’apprentissage des enfants et de la réduction des coûts des produits de première nécessité, consécutive à celle des coûts de transport. L’achèvement de l’étude des impacts socioéconomiques nous permettra de mieux mesurer l’ensemble de ses retombées tant directes qu’indirectes. Mais d’ores et déjà, je peux affirmer que la mise en œuvre effective, dans un futur proche, dans la zone, d’autres importantes opérations dans le secteur de l’agro-industrie, permettront d’atteindre pleinement les objectifs visés par ce projet.   

 

La BAD célèbre cette année ses 60 ans d’existence, mais également 60 ans de coopération avec le Cameroun. Quels sont les réalisations les plus marquantes de ce partenariat ?
Depuis sa création, la BAD a investi environ 4,9 milliards de dollars américains au Cameroun dans 120 opérations. Les investissements ont surtout été concentrés dans les infrastructures. À ce niveau, la Banque a un avantage comparatif majeur. D’ailleurs, la première opération de la Banque au Cameroun date de 1972 et a permis de financer un terminal à l’aéroport international de Douala pour un montant de quatre millions de dollars américains. Depuis lors, la Banque a beaucoup investi dans les infrastructures de transport, d’énergie, des technologies de l’information et de la communication, d’eau et d’assainissement, d’agriculture, etc. La Banque a aussi soutenu les réformes économiques majeures du Cameroun. Elle est aujourd’hui l’un des plus importants partenaires techniques et financiers du pays. En investissant dans les infrastructures, la Banque cherche à renforcer l’intégration régionale en Afrique centrale à travers, notamment, la mise en œuvre des priorités stratégiques et opérationnelles des principales organisations d’intégration régionale que sont la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) et la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT).
Avec nos partenaires, notamment l’Union européenne, la BDEAC et la JICA, nous avons relié les deux régions de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest à travers le projet de construction d’un pont sur la Cross River entre le Cameroun et le Nigéria. Nous avons contribué à la réalisation de tous les grands corridors de la région CEMAC pour relier le Cameroun au Tchad à travers la construction d’un pont sur le fleuve Logone, le Cameroun au Congo grâce à l’aménagement de la route Ketta-Djoum pour la facilitation des transports sur le corridor Brazzaville-Yaoundé et bientôt, nous allons construire un pont sur le fleuve Ntem pour relier le Cameroun à la Guinée équatoriale voisine.

 

Quid des projets nationaux ?
Outre ces appuis financiers pour renforcer l’intégration régionale, les investissements dans les routes nationales, comme celle reliant Kumba à Mamfé - dans la région du Sud-Ouest - la Ring Road au Nord-Ouest, la route Yaoundé-Bafoussam, la route Ntui-Yoko-Lena et bien d’autres, sont le fruit de cette coopération riche et dynamique entre le Groupe de la BAD et le Cameroun. L’objectif est de faciliter la circulation des personnes et des biens dans le pays et vers les pays voisins. Dans le domaine de l’énergie, les investissements ont concerné la production, le transport et la distribution.
À ce niveau, je peux citer le projet de la centrale à gaz de Kribi de même que l’usine au pied du barrage de Lom Pangar ainsi que la construction de la centrale hydroélectrique de Nachtigal, qui contribuent fortement à réduire aujourd’hui le déficit de l’offre énergétique du Cameroun. Nous projetons, dans les prochaines années, de construire des lignes de transport pour acheminer une partie de l’énergie produite vers la région de l’Extrême-Nord du Cameroun et le Tchad voisin. Cela contribuera aussi à la rentabilité des grands investissements faits dans la production de l’énergie au Sud et à l’Est du Cameroun. Dans le domaine du numérique, la Banque a réalisé un grand projet régional appelé « Dorsale à fibre optique d’Afrique centrale » qui a permis de poser plusieurs milliers de kilomètres de fibre optique et de réaliser des centres modernes de stockage de données numériques dans les pays bénéficiaires du programme.

 

Pourtant il n’y a pas que les infrastructures, M. le Directeur général…
Les investissements dans la recherche, l’éducation et la santé ont, entre autres, permis de soutenir la recherche agricole et d’améliorer les indicateurs de développement humain, en particulier dans l’éducation et la santé. Vous n’êtes pas sans ignorer que la Banque a énormément investi dans ces secteurs soit à travers des projets autonomes, soit à travers des composantes de grands projets d’infrastructure. Dans le secteur de la gouvernance économique et financière, l’une des actions les plus marquantes de la Banque porte sur le soutien sans faille à l’ambitieux programme de réformes engagées, depuis 2017, par le Cameroun et les autres pays de la région avec le Fonds monétaire international.
La Banque a fortement soutenu le programme à travers des appuis budgétaires et le suivi des réformes, contribuant ainsi à renforcer la stabilité macroéconomique et financière du pays, et surtout de la région de l’Afrique centrale au regard du poids du Cameroun dans l’union monétaire de la CEMAC. Nous avons aussi réagi promptement pour appuyer les efforts de riposte du gouvernement à la pandémie de Covid-19 et avons contribué ainsi à la reprise de l’activité post-Covid. Enfin, en tant que Banque du savoir, nous...

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